Campana ou le destin d’un collectionneur compulsif

by Rédaction

Cet hiver 2018/2019 le musée du Louvre accueille une exposition dédiée au marquis Campana, intitulée Un rêve d’Italie , qui rassemble plus de 500 oeuvres, généralement dispersées dans des musées français, européens et russe.

Né à Rome en 1808, Giampietro Campana poursuit la voie tracée par ses père et grand-père. Il hérite d’eux non seulement la charge de directeur du Mont de Piété, une institution qui dépend du Saint-Siège, mais aussi la passion des antiquités gréco-romaines. Une charge et une passion qui deviendront de plus en plus imbriquées au point de causer sa perte.

En tant que directeur général du Mont de Piété, il se révèle un homme d’affaires très judicieux: il métamorphose l’institution en une banque de dépôt et de prêt prospère. Parallèlement il ouvre une usine de faux marbre qui participe à la restauration de monuments romains et napolitains.

Comme il est de tradition dans les grandes familles aristocratiques européennes du XIX ème siècle,  Giampietro Campana dirige des campagnes de fouilles. Son champ d’action : Rome, le Latium et l’ Etrurie.

Dans sa collection, aux oeuvres mises à jour lors de ses campagnes, s’ajoutent celles qu’il acquiert sur le marché italien des « antiques » et de l’art. Il négocie avec le réseau des collectionneurs entre Rome, Naples et Florence, et entretient des liens avec les instituts scientifiques. Toutes ses découvertes et acquisitions composent une collection présentée dans sa villa du Latran, une collection si riche qu’elle est citée dans les guides touristiques de l’époque.

Mais très vite sa passion ne se satisfait pas des seuls « antiques ». Collectionneur compulsif, il ambitionne de constituer une collection qui donne l’image du patrimoine culturel italien passé et moderne, à une époque où la nation italienne n’existe pas encore.  Passionné, mais  aussi méthodique il constitue des catalogues qui répertorient, classent les 12 000 pièces qu’il a rassemblées essentiellement de 1830 à 1850. Les douze catégories établies alors constituent le fil d’Ariane de l’exposition Un rêve d’Italie. Vases, bronzes, bijoux, monnaies d’or, terres cuites, verres, peintures antiques, marbres, peintures avant 1500, peintures après 1500, majoliques, sculptures et objets de curiosité.

Visionnaire, Campana le fut incontestablement. Mais il y avait aussi ducondottiere dans sa démesure, et sa passion passa outre les scrupules qui auraient pu retenir un directeur du Mont de Piété placé sous l’obédience du Vatican. Passionné jusqu’à la démesure, il en oublia les règles de bonne gestion, pour mettre au point des jeux d’écritures et autres pratiques frauduleuses,  » des irrégularités de la plus grave nature dans sa gestion administrative » selon le Journal des débats. Arrêté en 1857, c’est l’intervention de Napoléon III qui permit de commuer sa peine, la condamnation à 20 ans de prison, en exil à vie.

Confisquée par les Etats pontificaux qui en gardèrent une partie, la collection du marquis Campana fut dispersée dans toute l’Europe, exceptées quelques pièces qui réapparurent sporadiquement et fort discrètement jusqu’ à la mort en 1880 du marquis Campana exilé et déchu. Toutefois la collection qu’il avait passionnément constituée suscita une passion toute aussi irrationnelle chez ceux qui voulurent en faire l’acquisition.

C’est secrètement que les Britanniques acquirent 700 oeuvres, dont de nombreuses sculptures du XVI ème siècle. Le tzar Alexandre II acquit des marbres et vases antiques, aujourd’hui propriété du Musée de l’Ermitage de Saint-Petersbourg avec lequel s’est associé le Louvre pour réaliser cette exposition. Et ce sont 10 000 objets que Napoléon III acquiert en 1861. 1200 pièces figurent aujourd’hui parmi les collections permanentes du Louvre, tandis que 5000 autres sont conservées par des musées régionaux, dont le Petit Palais d’Avignon.

L’intérêt de l’exposition Un rêve d’Italie est pluriel. Elle présente des pièces rarement rassemblées, leur donne une dimension nouvelle. Elle est l’occasion pour le visiteur d’ entrevoir également  ce que pouvaient être  une collection privée au XIX ème siècle, en un siècle où la notion de patrimoine national n’existait pas. Et, paradoxalement c’est ce « collectionnisme » du XIX ème siècle qui amena une nouvelle conception du statut de l’oeuvre d’art, car c’est en constituant une telle collection que le marquis Campana, républicain, affirma l’existence d’une culture italienne et accompagna l’émergence de la nation italienne, dans le contexte du Risorgimento.

Mais si cette exposition appelle aussi une réflexion sur la notion de patrimoine culturel, par delà toutes les facettes de cette collection, sa richesse peut autant séduire le visiteur que le désorienter. Vases, bijoux, bronzes, monnaies, primitifs toscans, majoliques, fresques, statuaire antique ou chefs d’oeuvre de la renaissance italienne venues de l’Ermitage de Saint- Petersbourg, du Victoria & Albert museum, de la National Gallery à Londres, de musées de province ou encore du musée du Capitole, de Florence ou de Bruxelles.… oui, mais qui ne représentent dans les faits qu’ un vingt-quatrième de la collection Campana initiale.

Des pièces exceptionnelles assurément, comme la collection de vases à figures rouges dont le cratère d’Euxitheos, le Sarcophage étrusque des Epoux , la monumentale main en bronze de Constantin, le buste d’Antinoüs, le Christ attribué à Giotto, la Bataille de San Romano de Paolo Uccello, la Vierge de Botticelli . Et même le cabinet secret de Campana. On ne saurait être exhaustif vu la richesse de l’exposition. Certaines oeuvres ne sont pas là: la statue colossale de Jupiter, des sarcophages romains, ou encore le vase de Cumes. Et leur absence peut devenir invitation au voyage. A collectionneur compulsif , visiteur lui aussi compulsif oblige!

Toutefois l’heure n’est-elle pas plutôt à une contemplation plus sélective?
Dominique Grimardia

Un rêve d’Italie: la collection du marquis Campana, Musée du Louvre, hall Napoléon, du 6 novembre 2018 au 18 février 2019, 91 rue de Rivoli, 75001 Paris

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