Feature, Movies 16/01/2010

Kinatay

by Rédaction

Voilà un film noir qui donne l’impression d’avoir été tourné en noir et blanc.Y domine un goût des oppositions, si ce n’est des contrastes toujours présents tout au long du film. A première vue des thèmes qui évoquent le Sens de l’ordre: une école de police, un mariage… Mais très vite des  fissures apparaissent: le banquet de mariage est-il réglé ou pas, quel est ce petit travail avec la pègre locale?

Le paradoxe existe aussi dans la tentative de suicide d’un homme accroché à un panneau publicitaire, vie sauvée  mais vie aussi perdue pour une fille kidnappée dans une boîte de strip-tease, et désignée comme la victime expiatoire du non payement de ses dettes, qui, elle, finit réellement par mourir.kinatayBrillante Mendoza révèle, pour illustrer cette vie du quotidien des rues de Manille aux Philippines, de ces rues bruyantes, agitées, trépidantes et colorées,  une narration dans un style «Caméra au poing» haletant, saccadé. Ce tempo, cette immédiateté de l’image transcrit précisément l’énergie des Philippins dans leur combat au quotidien pour assurer leur minimum vital. Comme le dit Brillante Mendoza: «La situation économique est telle que les gens font commerce de leur corps, volent, tuent. Avoir un toit, des vêtements, manger sont des choses qui supposent chez nous un combat quotidien.»

Mais que faire du personnage principal du film? Comment l’analyser? Comment le considérer? De par la volonté du metteur en scène c’est au spectateur à décider du bien ou du mal. Comment en effet ne pas imaginer un seul instant qu’en tant que jeune étudiant en criminologie, destiné selon toute vraisemblance à devenir policier, prêter main- forte pour du petit racket sur les marchés comme «job d’été», ne peut aboutir qu’à une mise à l’épreuve, ou plus simplement le rendre complice d’un meurtre afin d’assurer à la pègre locale une possibilité de chantage pour le futur policier qu’il est.

Et tout cela nous ramène à la tentative de suicide. Brillante Mendoza a- t’il voulu donner une double clé à cette scène, dans la mesure où il s’agit d’un suicide professionnel et moral auquel nous allons assister. Chronologiquement rien ne laissait présager cette issue fatale, c’est une simple surprise de voir celui qui semblait être le personnage principal  passer du statut d’étudiant en criminologie à la pratique du racket, à la nuit tombée. S’ensuit un enchaînement d’ éléments: kidnapping, insultes, coups sur la victime, errance apparemment sans fin dans une petite camionnette, arrêt qui semble donner une chance de s’échapper, puis arrivée à la villa, et enfin cette vision au sous-sol. Tout au long de cette déambulation domine l’omniprésence du portable, totem de mort, puisque la décision finale sera donnée de manière implacable et anonyme par son intermédiaire. A chaque moment nous pouvions nous attendre à assister à une issue moins fatale, mais rien ne s’opposera au viol, au meurtre «à coups de manchettes (c’est quand même plus gore qu’une simple balle de revolver), pour finir par un découpage en morceaux qui semble difficile aux protagonistes pour des raisons pratiques. Et surtout pas de conscience (il ne faut pas rêver). Le point d’Orgue sera l’essaimage tout au long de la route des morceaux de corps emballés dans du plastique, jetés «deci delà», avec en épilogue, au petit matin, une prime reçue par notre «héros», pour sa participation au «dur labeur» de la nuit. Y a t’il une morale?  Tout travail doit-il être payé? Même le plus abject? Ne serait-ce pas aussi la volonté de Brillante Mendoza de nous faire part de sa vision de la réalité des Philippines?

Texte de Jean Cousin

FILMOGRAPHIE et Prix de Brillante Mendoza:

Léopard d’Or de la vidéo au Festival de Locarno, Prix du Public au Festival de Turin, Prix Interfaith au Festival de Brisbane en 2006

2009 KINATAY

2008 SERBIS

2007 TIRADOR (SLINGSHOT)

2007 FOSTER CHILD (JOHN JOHN)

2006 MANORO (THE TEACHER)

2006 KALELDO (SUMMER HEAT)

2005 LE MASSEUR (MASAHISTA)

Forks magazine

© Fork 2010

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