Musée Rodin: Création et High-Tech

by Rédaction

 » Je donne à l’Etat toute mon oeuvre plâtre, marbre, bronze, pierre, et mes dessins ainsi que la collection d’Antiques que j’ai été heureux de réunir pour l’apprentissage et l’éducation des artistes et des travailleurs. Et je demande à l’Etat de garder en l’hôtel Biron, qui sera le musée Rodin, toutes ces collections, me réservant d’y résider toute ma vie. » C’est en ces termes qu’ Auguste Rodin négocie avec Paul Escudier  en 1909 la fondation du Musée Rodin.

Ouvert le 4 août 1919, deux ans après la mort du sculpteur, voici près d’un siècle, le musée Rodin aborde désormais une nouvelle ère. L’enjeu était de taille, un lieu qui vieillissait, « au bout de sa résistance » selon les termes de Catherine Chevillot, directrice du Musée Rodin, une oeuvre titanesque et une nécessaire évolution de la proposition culturelle. Il fallait donc restaurer un hôtel particulier du XVIII ème siècle, concilier des impératifs structurels,  se conformer aux normes exigibles d’un bâtiment qui accueille 700000 visiteurs par an, tout en donnant à ressentir la richesse et la modernité de la démarche du sculpteur. De fait, pour le renouveau du Musée Rodin, la technologie a été mise au service d’une oeuvre, jusque dans les plus infimes détails.

Le visiteur ne pourra se douter de la sophistication des conceptions des vitrines d’exposition, du mobilier, de l’inventivité mise en oeuvre pour adapter des sellettes du XIXème et les rendre capables de résister aux manipulations comme aux variations thermiques. Par contre il aura accès à une oeuvre dont toute la richesse  lui sera suggérée par une scénographie dynamique, sans bavardage, sans diktats, selon une démarche qui guide sans contrainte et donne à voir l’oeuvre sans bling-bling, ménage sa liberté et sa curiosité.

L’Hôtel Biron, intégralement rénové, est désormais mis au service des sculptures grâce à un travail sur la lumière et la couleur. C’est un paradoxe puisque les statues s’imposent par leur monochromie. Les matériaux utilisés sont ceux traditionnels de la statuaire des fin du XIX ème et début du XX  ème siècles: terre, plâtre, marbre et bronze. Dans ce cas un décor à dominante blanche, dans lequel se fondraient les sculptures, était un non-sens. Les recherches sur documents d’époque et les opérations de sondage du bâtiment ont permis à l’architecte de la rénovation, Dominique Brard, de constater que les ateliers d’alors ne présentaient pas des murs blanchis, mais colorés, capables de mettre en valeur le travail sur la matière et les reliefs.

C’est donc, selon cette philosophie de la couleur et cet art du fond, que la société Farrow & Ball a spécialement élaboré pour le musée Rodin la teinte  Biron Gray.  Associée à une gamme restreinte de gris colorés, à un subtil Joa’s white ( notre prosaïque coquille d’oeuf) et à un paille citronné, cette couleur crée désormais l’identité visuelle du musée autant qu’ elle sert la symbiose du lieu et de l’oeuvre. Dès lors les terres cuites poudrées, les bronzes sombres, les plâtres mats et les marbres aux éclats discrètement nacrés acquièrent une singulière présence.

La muséographie s’appuie aussi sur la sophistication high-tech de l’éclairage mis au point par Stéphanie Daniel. Au jeu des sculptures avec la lumière naturelle, au gré des saisons et des heures de la journée, s’ajoute une orchestration sophistiquée de l’éclairage artificiel. Piloté par un système informatique, le protocole Dali, cet éclairage novateur arrive en compensation de la lumière naturelle. Un infime jeu entre 4000 et 4700 kelvin module l’intensité et la chaleur de la luminance, tout en pouvant s’adapter non seulement à chaque salle mais aussi à chaque oeuvre en fonction de son orientation, de son matériau , et cela sans que la lumière ne paraisse à aucun moment artificielle. Un oeil, même averti, ,sera pris par l’expression d’un regard discrètement éveillé par cette technologie pratiquée sur le mode mineur, au service de l’art.

Toute cette muséographie, qui privilégie la fluidité et l’ouverture, entre en convergence avec  l’oeuvre de Rodin.  Le choix de présenter toute son oeuvre, mais aussi tout l’environnement de celle-ci,y compris sa collection particulière, donne à voir tout un processus créatif, à comprendre comment cet artiste transformait son espace, collectionnait ses « antiques », des fragments de sculptures de l’antiquité trop endommagés pour intéresser les musées d’alors, concevait, vivait son siècle et l’ exprimait dans une singulière modernité. Riche de 33697 oeuvres, avec 6775 sculptures, 6466 antiquités, 256 meubles anciens, 206 peintures, 9094 dessins et estampes, 11000 photographies, le Musée Rodin possède un fonds qui permet justement un renouvellement des oeuvres exposées, le choix d’expositions thématiques à l’envi, et de fédérer de nombreuses initiatives culturelles sur un mode éclectique.

Quoi qu’il en soit le nouveau Musée Rodin révèle aussi un nouveau Rodin.  Dépassée la vision négative du mentor machiste de Camille Claudel. Dans cette mise en scène de l’invisible, l’amateur retrouve le sculpteur, son atelier mais encore sa collection privée. Peut-on imaginer, en franchissant le seuil de l’Hôtel Biron , découvrir Les Moissonneurs de Van Gogh, revoir La Femme nue de Pierre-Auguste Renoir, ou s’attarder sur Belle-Isle-en-Mer peinte par Claude Monet. En quelque sorte ce musée de la nouvelle ère montre combien la culture et l’art sont des disciplines dynamiques, rappelle leur importance dans la formation de l’individu, mais aussi participe à un rayonnement complexe qui dépasse les limites  de la cité.
Dominique Grimardia
Copyright Forks

Musée Rodin,  77 rue de Varenne, 75007 Paris

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