Interview, Politique 24/01/2020

Patrick Gohet , adjoint au Défenseur des Droits, ardent défenseur des droits des Handicapés

by Rédaction

Dans l’ensemble des mesures prises par Jacques Chirac, la création du Défenseur des Droits est l’une des plus importantes. Cette mesure a introduit la possibilité pour tous les Français d’avoir une réponse et une prise en compte de leurs difficultés au travail, dans la vie courante, ou face à une administration. L’un des domaines d’intervention particuliers est celui des mesures discriminatoires liées à un handicap.

Dans ses voeux à la presse Jacques Toubon a souligné: « Mes vœux je les adresse d’abord aux personnes qui constituent l’institution du Défenseur des Droits,mes Adjoints, Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, Claudine Angeli Troccaz et Patrick Gohet « .

C’est dans le cadre de cette institution que Patrick Gohet nous a fait part de sa vision, de ses convictions, de son parcours et de la  mission qu’il accomplit quotidiennement en tant qu’adjoint au Défenseur des Droits.

Pouvez-vous me faire part de votre parcours?

– J’ai travaillé des deux côtés de la barrière: De formation littéraire et juridique, j’aurais être voulu être professeur d’université et avocat. Après mon service militaire, j’ai rencontré un chercheur de têtes, qui cherchait le directeur adjoint pour l’UNAPEI (Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis), pour en réorganiser le siège. A l’époque je ne la connaissais pas bien. Il m’avait dit que j’avais cette capacité à avoir du savoir-faire, et du militantisme.

D’abord acteur du monde associatif’, j’ai vite apprécié le fait d’y travailler de 1981 à 2002, d’avoir une tâche qui permettait de créer une vie plus heureuse pour les familles et les handicapés. J’y ai mis beaucoup de passion en tant qu’adjoint à la direction, et comme directeur général de l’ UNAPEI). En 2002, Jacques Chirac a voulu que l’on réforme la Loi sur le Handicap. Il considérait que celle de 1995 devait être revue, et qu’il avait besoin d’une équipe transversale.

J’ai donc succédé à Patrick Segal, afin d’en assurer la coordination. Le périmètre était large. Une quinzaine de ministères étaient concernés: la Santé, l’ Education nationale, l’ Emploi, l’ Equipement, la Jeunesse et les Sports, les Finances, l’ Intérieur, et la Justice. Dès 2004 je participai aux travaux  de la Commission qui négocia la future Convention Internationale sur les Droits des Personnes Handicapées à New York.

Quels furent les positionnements et les préoccupations de votre travail dans les problématiques liées au handicap ?

– Fin des années 90, début 2000, le principe qui domine est celui de pleine citoyenneté, dans la mesure où les personnes handicapées sont définies par un manque de capacité. En France la politique du handicap est toujours venue des intéressés par le biais des associations. À cette époque il était indispensable de changer la législation, afin qu’ils puissent vivre pleinement leur citoyenneté.

Cette approche présidera tant à la Convention Internationale à New York, qu’au niveau national ensuite. A partir de là, il faut déterminer les différents types de handicap, du sensoriel à l’intellectuel. Il s’agit d’apporter une réponse à l’inadaptation de l’environnement et à celle de la personne.
L’ accessibilité en est l’un des marqueurs forts: celle-ci est capitale dans la politique du handicap. C’est le plus qu’il faut apporter afin de compenser le moins.

Quelle est la philosophie du Défenseur Des Droits dans ses principes d’action ?

– Autorité Administrative Indépendante. l’Institution du Défenseur Des Droits est la plus en avance par son inscription dans la Constitution. Sa deuxième caractéristique est d’être issue en 2011 du regroupement de quatre institutions diverses. Elle détient donc beaucoup de leviers: ceux du Médiateur de la République, ceux du Défenseur des enfants, ceux de la Halde avec lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité, et ceux de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité, la CNDS.

Nous devons à Dominique Baudis le regroupement de plusieurs cultures et plusieurs savoir-faire. Ce regroupement pouvait engendrer un risque d’affaiblissement. Dans les faits ces pouvoirs se sont confortés. Ce qui est frappant, c’est l’étendue des missions. Dans ce lieu cohabitent des juristes, – qui élaborent les recommandations du Défenseur-, des sociologues – en tant que connaisseurs de la société.

Cela permet de mesurer la taille de l’Institution. Nous observons pourtant que nous sommes insuffisamment connus, et insuffisamment sollicités. Pour que nous soyons saisis, il faut que les gens sachent qu’ils ont des droits. Par leur citoyenneté française, ils sont des acteurs responsables au sein de la Cité.

De quels pouvoirs dispose le Défenseur des Droits?

– Tout d’abord nous sommes saisis sur une plainte « Je considère que telle personne physique ou morale porte atteinte à mes droits ». La démarche de ce citoyen est-elle fondée? Nous nous adressons à la personne mise en cause, telle personne morale ou telle personne physique considérée comme portant atteinte aux droits du plaignant.
Si c’est une personne handicapée, qui ne met pas en oeuvre les prescriptions que son médecin a demandées?

 Nous sommes saisis par de multiples demandes couvrant un champ très large. Personne ne peut refuser de nous fournir des éléments sur un dossier. Aucune autorité ne peut s’opposer à une demande de l’un de nos juristes. Nous avons un pouvoir d’injonctions et de mise en demeure, ce qui est très rare. Nous pouvons saisir le juge, quand il y a refus de la médiation.  Le fait de menacer du Défenseur des droits porte souvent des résultats.

Lorsqu’un phénomène n’est pas isolé, nous opérons une opération de testing. Un appel à témoignages est lancé sur une situation donnée. La Mutuelle des Etudiants en est un exemple. Il y avait des problèmes de règlement que des étudiants attendaient plusieurs années. Avec plusieurs milliers de tèmoignages, nous sommes intervenus auprès du ministère de Tutelle.

Autre initiative: nous nous sommes aperçus qu’il n’y avait pas l’accès des élèves handicapés aux activités scolaires et périscolaires. Il s’agit ici d’une discrimination flagrante. Selon la législation, un enfant est inscrit dans l’école de son quartier. Une directrice déclarait que sa classe était au troisième étage, et qu’en conséquence elle ne pouvait accepter l’enfant handicapé. Le Défenseur a été saisi, la classe a été déplacée.Afin de donner la possibilité de mettre en oeuvre cet accès, nous proposons la mise en place d’un observatoire co-animé par l’Éducation nationale et le Défenseur des droits.

Sur la base des saisines, nous pouvons émettre des recommandations et proposer de modifier les Textes. Au fil du temps, le Défenseur des Droits a institutionnalisé les relations avec la Société civile. Des Comités d’entente ou de liaison ont été créés en interne: un comité Handicapés, un comité Egalité femme/homme, un Comité LGTB. Ils se réunissent deux fois par an. Le Défenseur présente les initiatives prises depuis la dernière réunion, afin d’affiner les méthodes.

Comment voyez-vous votre action?

Je pense être l’un des acteurs de la consolidation de l’Institution dans le domaine de la discrimination. J’interviens auprès des mairies et des personnes handicapées. J’ai le sentiment de mieux faire connaître l’Institution. Désormais on sait que l’on peut nous saisir. J’ai aussi le sentiment de participer à la promotion de la notion de Droit, Justice,  et d’ Egalité, « afin d’arriver à une plus grande justice, sérénité, et harmonie ». Pour que la société soit harmonieuse, il faut que la justice y règne. J’ai contribué à ce que l’on améliore considérablement le sort des personnes handicapées.

Des temps forts?

– Lorsque j’étais à l’UNAPEI, nous avons organisé sur la pelouse de Saint-Cloud, un événement avec une Cité de la Dignité. Il y avait des « quartiers »:  Avoir sa dignité, le  sport, la religion, le trampoline, les régions. J’avais fait venir les Carnavaleux de Dunkerque avec une grande paella. Cela nous donnait une force de pression considérable. A cette occasion, le président de la République Jacques Chirac  arrive, et se penche vers moi. Il me confie avoir téléphoné au directeur général des Renseignements généraux, qui lui avait annoncé qu’il y avait 50 000 personnes. Il me demande comment j’ai fait. «  Car, au RPR – me dit-il-,  lorsque nous avons réuni 15000 personnes, nous sommes ravis ». Je lui ai répondu que ce n’était pas tout à fait la même chose!

Jacques Chirac était un homme très pudique. Il se présentait d’une façon qui n’était pas le reflet exact de sa vraie culture. Il parlait le russe couramment, était un expert de la civilisation chinoise. Il allait dans les établissements qu’il avait créés en Corrèze, des établissements pour handicaps très lourds, dont personne n’a le droit de contester le droit à l’existence.

Avec le Président Mitterand, nous avons fait une expérience. Il touche la main d’un gamin avec un handicap très lourd. Le visage de l’adolescent s’illumine. Je lui ai rappelé que près de 60 000 personnes handicapées mentales avait disparu en Allemagne durant l’ année 1939.  Pendant la guerre on a laissé mourir des personnes handicapées en ne les nourrissant pas correctement, sur instruction de Vichy et des Allemands.

Quel est le futur du Défenseurs Des Droits?

– Il faut que l’Institution garde son double cap: celui de résoudre des cas individuels, et celui de nourrir la législation. Cette double fonction ne peut pas s’arrêter, et encore plus actuellement avec la numérisation de la société à marche forcée.  Le Défenseur Des Droits subit une montée en charge. Il faut donc veiller à son maintien.

Jean Cousin

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