Interview, Politique 03/08/2020

Patrick Gohet : « Nous sommes des « arrangeurs » de situation »

by Rédaction

Après six années de mandat caractérisées par la volonté de faire connaître aux Français le rôle du Défenseur des Droits, Jacques Toubon et ses trois adjoints quittent l’institution le 17 juillet. Patrick Gohet, adjoint en charge de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité, rappelle les points marquants de ce mandat ainsi que les enjeux poursuivis.

Comment définiriez-vous ces années de travail avec Jacques Toubon ?

Ces années représentent une aventure humaine passionnante. Par sa grande bienveillance et sa rigueur, Jacques Toubon était fait pour cette institution. Ses analyses sociétales sont extrêmement intéressantes. Ce qui fait de lui un pilote efficace et respecté. Son sens des relations humaines lui donne la capacité de s’attacher les équipes qui travaillent avec lui. Il sait utiliser le registre de la confiance et de la loyauté. Au plan personnel ces années représentent une expérience de grande qualité.

Quel est le principe de fonctionnement de cette autorité ?

Le Défenseur des Droits est une autorité indépendante et non une juridiction qui agit pour le rétablissement des personnes dans leurs droits lorsque ceux-ci sont bafoués. La médiation est notre principal moyen d’intervention et près de 80% des règlements amiables engagés aboutissent favorablement.

Quelles sont les capacités de l’institution ?

C’est une institution forte de sa connaissance des pathologies de la société. Elle peut donc prendre l’initiative de projets à concrétiser sous une forme juridique appropriée, et je crois que nous ne nous en sommes pas privés.
Par notre statut d’autorité administrative indépendante, nous disposons de pouvoirs d’enquête nous permettant d’instruire en droit, sur le principe du contradictoire, les saisines reçues, de rendre des décisions, de présenter des observations devant toutes les juridictions en qualité d’« Amici Curiae » (Amis de la Justice). Nous pouvons également proposer des modifications réglementaires ou législatives. Les personnes mises en cause ne peuvent pas refuser de communiquer les informations demandées par le Défenseur des droits. Si elles refusent, il peut adresser des mises en demeure puis saisir le juge des référés, ou encore invoquer le délit d’entrave.
Dans ma position d’adjoint, je pense qu’il faut surtout faire fonctionner tous les registres de l’institution. Nous avons beaucoup progressé ces six dernières années et le Défenseur des droits est devenue une institution dont les positions et les recommandations sont largement prises en compte.
Au cours de ces 6 dernières années, nous avons vécu des situations très particulières qui nous ont conduits à prendre des positions fortes. Sous le mandat du premier Défenseur des droits, Dominique Baudis, les priorités en matière de discriminations ont porté sur l’origine, le handicap, l’âge. Avec Jacques Toubon, nous avons connu deux états d’urgence, l’un à la suite des attentats terroristes de 2015, l’autre lié à la crise sanitaire due à la Covid-19. Il s’est largement exprimé sur les mesures prises dans ces deux contextes très particuliers en insistant sur la nécessité qu’elles soient temporaires et que certaines dispositions ne rentrent pas dans le droit commun. Ce qui, dans une certaine mesure, a néanmoins été fait dans le cadre de l’état d’urgence.

Quelles pourraient être les orientations futures du Défenseur des Droits ?

Il est évidemment souhaitable que les domaines couverts par l’institution continuent de l’être. Il est également nécessaire et possible qu’elle continue d’inspirer les pouvoirs publics, législatif et exécutif. A l’avenir, l’institution s’impliquera sans doute plus fortement dans le domaine de la vulnérabilité économique et de la précarité sociale, toutes deux sources de discrimination et d’inégalité de traitement.

Face à la pandémie, comment le Défenseur des Droits situe-t-il son action ?

Le monde entier a dû faire face à la pandémie et ses conséquences. Nous avons observé deux stratégies. Des pays ont donné la priorité à la protection de la population. D’autres, ont privilégié le maintien de leur économie. La France a fait le choix heureux de la protection de sa population. Les conséquences de la pandémie sont redoutables sur les plans économiques et sociaux.
Dans un tel contexte, la sortie de l’état d’urgence sanitaire réclame une forte attention, et la préservation des droits une grande vigilance. Il convient d’être attentif à la préservation d’un certain nombre de droits mis temporairement en sommeil pendant cette période.
Il ne faut pas qu’il y ait de recul sur l’étendue et l’exercice des droits. Dans ce contexte, le Défenseur des droits aura sans doute un rôle de vigie et de propositions.

Existe-t-il d’autres défis ?

Oui, l’inclusion et la protection des personnes handicapées qu’il faut poursuivre, l’accompagnement des personnes âgées qui perdent de l’autonomie, tout comme les populations oubliées des zones rurales, suburbaines, ultramarines, etc.

Quelles ont été les évolutions du Défenseur des Droits en six ans ?

Dominique Baudis et ses équipes ont laissé un héritage de qualité. Il nous a permis d’élargir le périmètre de nos initiatives et de renforcer le réseau des délégués. Jacques Toubon a souhaité la mise en place de 12 chefs de pôle régionaux qui font le lien entre les délégués et le siège. Le fonctionnement du réseau s’en trouve encore plus fluide. Connus localement, accessibles dans leurs permanences, les délégués constituent une réponse de proximité pour le grand public.
Au total, quel chemin parcouru !

Quels sont vos rapports avec le Ministère de la justice ?

Nous avons des liens avec le monde judiciaire. Nous nous appuyons essentiellement sur le principe de la médiation, nous sommes des « arrangeurs » de situation. Nous réglons de nombreux problèmes qui, sans le Défenseur des droits, seraient allés devant le juge. Nous pouvons obtenir des règlements amiables pour des salariés, pour des administrés en difficultés avec leur collectivité, etc. En tant qu’autorité administrative indépendante, notre premier objectif est de rétablir les personnes dans leurs droits et de favoriser une régularisation volontaire recherchée par les deux parties.

Comment définiriez-vous votre action au sein du Défenseur des Droits ?

Les atouts du Défenseur des droits, des équipes de juristes, de sociologues, de communiquants, ainsi que les valeurs de l’Institution ont confirmé et approfondi les engagements de ma vie. Pour moi, ces années furent de grande qualité.

 

Jean Cousin

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