Sous le signe du Japon Le Salon du Livre 2012

by Rédaction

Cipango fut le nom donné par Marco Polo pour le Japon, et le pays du Soleil Levant  est fortement représenté dans ce Salon du livre 2012. En effet 20 auteurs japonais (Kaori Ekuni, Hideo Furukawa,Taro Gomi,Moto Hagio,Keiichiro Hirano,Toshiyuki Horie,Mitsuyo Kakuta,Satoshi Kamata,Kunio Katô,Katsumi Komagata,Madoka Mayuzumi,Taku Nishimura,Kenzaburô Ôé (prix Nobel de littérature),Ryoko Sekiguchi,Masahiko Shimada,Yoko Tawada,Hitonari Tsuji,Risa Wataya ,Mari Yamazaki,Gôzô Yoshimasu) ont été invités au pavillon japonais. Beaucoup de romanciers,quelques poètes, une essayiste et un peu de mangas. Les mangas sont aussi présents dans une surface qui leur est totalement dédiée, appelée le « Manga Square ».

Le Japon offre la particularité d’avoir, en quelque sorte, par un raccourci littéraire audacieux, près de 127 millions de lecteurs, et par l’attachement des japonais à leur langue, une oeuvre littéraire abondante.  La formidable production de littérature japonaise est caractérisée, depuis l’après-guerre, par la nécessité de chacun de ces auteurs de se différencier de la pensée consensuelle japonaise. Le dénominateur commun est une volonté récurrente d’aborder les thèmes de la façon la plus personnelle possible. Ceci a pour conséquence la quasi absence de notion d’école ou de courant  dans la production des livres japonais. A contrario une certaine unicité des thèmes peut apparaître à travers plusieurs générations d’auteurs japonais. Il est doncpossible d’analyser ainsi les thématiques récurentes nées depuis la seconde guerre mondiale.  En premier lieu figure celle liée à  l’analyse du traumatisme engendré par les conséquences de la défaite. Par la suite la littérature des années 60 aborde beaucoup aussi la question de la violence et celle des révoltes des étudiants. Par contre pour la génération de romanciers et d’auteurs nés après la guerre, ceux qui sont régulièrement réédités sont ceux nés dans  les années 60. Et chez ceux-ci le thème dominant est leur attachement à décrire l’extrême modernité liée à la formidable croissance  du Japon, et les conséquences que cela entraîne dans les relations inter-individus. On peut citer Masahiko Shimada  pour l’ouvrage  Maître Au-delà ( éditions Le Serpent à Plumes). Hideo Furukawa, pour sa part, évoque l’influence sur son travail de Borges ou Garcia Marquez. Faut-il pour autant en faire la raison de sa nomination avec le livre Love pour le prix Mishima en 2006? Cela semble un raccourci pour le moins lapidaire. La description d’individus et de personnages prospérant dans un Tokyo marginal permet de donner la tonalité de sa réflexion sur la mégalopole de Tokyo, lieu de négation de l’individu et des stéréotypes qui, sous sa plume acquiert une densité émotive à l’échelle de cette mégalopole qui est la plus densément peuplée de la planète.

En dépit de son succès actuel le Manga, dont la traduction est « image dérisoire », traduit les liens profonds qui lient tradition et modernité dans la création de ce pays.  Il est, à l’origine, l’expression personnelle du peintre Hokusai, qui créa au XIX ème siècle une traduction picturale plus courte et plus concise. Sa vision du manga  s’appuie sur recherche esthétique liée à l’analyse, et  la conviction selon laquelle n’importe qui peut dessiner un personnage et retranscrire ses mouvements.  Mais le plus difficile, – et là réside tout l’art du Manga-, est de dépeindre l’âme cachée  derrière ces mouvements . La littérature manga est donc parvenue à créer un style de narration particulier. Son principal trait est son rapport avec des scènes d’action. Les plus courtes  possible elles s’insèrent dans un système narratif foisonnant et de dessins saturés de personnages. En  répétant en effet  par des dessins contextuels et en  analysant le point de vue des différents personnages sur une même situation , il se crée un éloge de l’action. Mais là encore, comme pour les oeuvres d’une esthétique plus traditionnellement littéraire, le manga ne se résume à la seule culture de la transcription de l’action. la richesse du manga tient aussi à son histoire et aux circonstances historiques qui ont vu son développement. C’est à la fin de la seconde guerre mondiale que les mangas  » traditionnels » ont  évolué en BD classiques sous l’influence des comic strips  américains. Les mangas de cette époque étaient édités en noir et blanc. Bons marchés ils permettaient aux japonais d’oublier un bref instant  la misère et la honte engendrées par la guerre perdue. C’est dans ces circonstances que naquit le manga tel qu’il est connu aujourd’hui avec le mangaka, Osamu Tesuka, dessinateur de manga qui mixa l’influence de Walt Disney et le traitement du mouvement et des onomatopées, à sa technique originale du trait et son travail sur le visage avec ces fameux grands yeux qui sont devenus typiques des mangas.

Donc si les mangas sont devenus -éditorialement parlant- un phénomène planétaire  et pas seulement l’une des actualités japonaises de ce Salon du Livre, c’est qu’ils recèlent en eux une richesse et un vécu qui dépassent la précarité d’un simple phénomène de mode. Vecteur de la culture populaire des jeunes japonais dans les années 60, le manga est un genre protéïforme aux classifications précises. il y a ceux pour les filles (shojo manga), ceux pour les garçons (shonen manga) mais aussi ceux pour les adolescents, les vieillards, les plombiers. et par cette diversité, autant que par leurs origines les mangas possèdent en eux une richesse qui  donne une synthétise non seulement de la société japonaise et urbaine, mais aussi de ce que deviennent les sociétés occidentales. Il n’est donc pas étonnant de retrouver le manga décliné par des mangaka comme Jiro Taniguchi ou Tamiruna Kazuo en véritables romans d’introspection. Il n’est pas étonnant non plus de voir combien l’imaginaire des mangas prélude la naissance d’oeuvres picturales majeure comme celles de Takashi Murakami.

Forks magazine
© Forks 2012

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