Un rapport sénatorial dévoile que l’explosion des absences non remplacées chez les enseignants occulte une réalité plus complexe : nombre d’enseignants utilisent les congés maladie pour contester des nominations aberrantes qui les épuisent physiquement et psychiquement.
Les chiffres sont accablants : entre 2018 et 2024, le nombre d’absences non remplacées a bondi de 49 % dans le premier degré et de 93,2 % dans le second degré. Derrière cette statistique froide se cache une réalité que le rapport sénatorial d’Olivier Paccaud peine à saisir : l’arrêt maladie devient parfois l’ultime recours pour des enseignants confrontés à des affectations incohérentes qui brisent leur santé.
Quand l’administration scolaire ignore la géographie humaine
L’exemple de Anne P *(Le prénom a été changé), professeure de français handicapée, illustre ces dysfonctionnements. Affectée sur deux établissements parisiens – l’un dans le 14ème arrondissement, l’autre près de la Bibliothèque François Mitterrand -, elle devait parcourir quasiment quotidiennement une partie de Paris en transports en commun, c’est à dire plus de quarante minutes de transport. Entre deux cours, impossible de déjeuner: le temps de trajet absorbe entièrement sa pause méridienne.
« On ne m’a rien expliqué. C’était comme ça ‘ », confie-t-elle amèrement. « Mais personne ne s’est demandé comment une personne en situation de handicap pouvait tenir ce rythme ». Résultat :un arrêt maladie depuis septembre, officiellement pour « épuisement », « ‘l’administration avait comme seul argument qu’il fallait un professeur devant les élèves » déclare t’elle aussi.
Cette pratique, loin d’être anecdotique, révèle les failles d’un système d’affectation déconnecté des réalités humaines. Les rectorats, sous pression budgétaire, multiplient les « compléments de service » – ces affectations partielles sur plusieurs établissements qui permettent d’économiser des postes.
L’arrêt-maladie, soupape de sécurité du système, le Snes absent
Si les « raisons de santé » constituent officiellement 41,5 % des absences dans le premier degré et 61,2 % dans le second degré selon le rapport Paccaud, l’analyse s’arrête aux symptômes sans interroger les causes. Les médecins du travail de l’Éducation nationale observent pourtant une corrélation troublante entre les arrêts pour « burn-out » ou « troubles anxio-dépressifs » et les affectations multi-sites.
« Les enseignants ne peuvent pas dire ouvertement qu’ils refusent leur affectation », explique un syndicaliste qui préfère rester anonyme. « L’arrêt- maladie devient alors un moyen détourné de signaler que le système dysfonctionne. »
Cette stratégie de contournement explique en partie l’explosion des absences pour raisons de santé : +28 % dans le premier degré et +32 % dans le second degré depuis 2018. Des chiffres que le rapport attribue uniquement à une « tendance sociétale », occultant les responsabilités organisationnelles.
Interrogé, le Snes n’a pas répondu à nos sollicitations.
Paris, laboratoire des affectations absurdes
La capitale cristallise ces dysfonctionnements. Avec la densité de ses établissements et la pénurie chronique d’enseignants, le rectorat de Paris multiplie les « bricolages » : un professeur d’anglais éclaté sur trois collèges, un enseignant de technologie naviguant entre Belleville et Auteuil, une documentaliste partagée entre quatre établissements.
« C’est la logique du puzzle », dénonce un principal de collège parisien. « On fait entrer les pièces de force, sans se soucier de l’image finale. » Cette gestion « au plus juste » génère un épuisement professionnel que masquent pudiquement les statistiques sur l’absentéisme.
L’impact dépasse la seule fatigue physique. Ces enseignants nomades peinent à s’investir dans les projets pédagogiques, à connaître leurs élèves, à participer à la vie des établissements. Cette précarisation invisible dégrade la qualité de l’enseignement.
Le coût caché d’une gestion comptable
Le rapport Paccaud évalue le coût global des absences à 5,42 milliards d’euros en 2022. Mais cette approche purement budgétaire ignore un paradoxe : en voulant économiser des postes par les affectations multiples, l’institution génère un surcoût indirect massif via l’absentéisme qu’elle provoque.
Combien coûtent les arrêts maladie de Sarah M. ? Combien d’heures de cours perdues par ses élèves ? Quel impact sur leur progression ? Le rapport ne pose pas ces questions, préférant pointer du doigt l' »absentéisme enseignant » sans interroger ses causes systémiques.
Des recommandations qui évitent l’essentiel
Les recommandations du sénateur Paccaud – revalorisation de la fonction de remplaçant, optimisation organisationnelle, amélioration des conditions de travail – effleurent le problème sans le saisir. Aucune ne questionne la logique d’affectation qui transforme les enseignants en variables d’ajustement budgétaire.
Pourtant, la solution pourrait être simple : conditionner les compléments de service à des critères de faisabilité géographique et humaine. Prendre en compte les situations de handicap, les contraintes familiales, les temps de transport. Privilégier la qualité pédagogique sur l’optimisation comptable.
L’absentéisme enseignant n’est pas qu’un dysfonctionnement : c’est le symptôme d’un système qui a perdu de vue sa mission première. Tant que l’institution traitera ses personnels comme des pions sur un échiquier budgétaire, les arrêts-maladie continueront de croître, et avec eux, la dégradation du service public d’éducation.
* Le prénom a été changé
Cette enquête se poursuit. Nous recueillons les témoignages d’enseignants confrontés à des situations d’affectation problématiques.