Face à un déficit public envisageable de 5 à 6 % du PIB pour 2025, le gouvernement a été amené à appréhender comme des » sur-dépenses » le budget des collectivités territoriales. Ces dernières considèrent que leurs arbitrages sont les bons et défendent leurs budgets importants d’investisseurs publics, dont l’utilité est pourtant souvent remise une cause.
Pour l’Insee, en 2024 le déficit publique s’élève à 5,8% à 169, 6 milliards d’euros, un niveau inédit depuis la crise financière de 2008. Tandis que la dette publique culmine à 113 % du PIB et que les charges d’intérêt atteignent 58 milliards d’euros – devenant le deuxième poste budgétaire de l’État –, une polémique enfle entre Bercy et les collectivités territoriales.
Une certaine insouciance des collectivités
Déjà dans un courrier adressé en septembre 2024 aux parlementaires, les ministres démissionnaires Bruno Le Maire et Thomas Cazenave avaient pointé « l’augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités territoriales ». Selon leurs calculs, ces dernières pourraient afficher un déficit de 16 milliards d’euros en 2024, contre une estimation initiale de 1,8 milliard. Cet écart de 14,2 milliards contribuerait directement au creusement du déficit national.
Les chiffres avancés par la direction générale du Trésor sont alarmants : les dépenses de fonctionnement des collectivités ont progressé de 3,6 % en 2024, soit le rythme le plus rapide des quinze dernières années. Cette dynamique, conjuguée à une hausse des investissements de 7,5 % après 12,4 % en 2023, fait des collectivités territoriales un facteur de dégradation budgétaire aux yeux de l’exécutif. « Le risque principal est lié à une augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités territoriales », écrivent les deux ministres qui estiment que cette dérive pourrait « à elle seule dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d’euros ».
Polémique infondée pour les élus locaux
La riposte des associations d’élus ne s’est pas fait attendre. « Jamais les collectivités ne seront à 16 milliards à la fin de l’année, dans la mesure où nous sommes aujourd’hui à 9 milliards d’euros en autofinancement », rétorque André Laignel, vice-président de l’Association des maires de France (AMF).
L’argument de fond des collectivités semble imparable : contrairement à l’État, elles sont soumises à une « règle d’or » budgétaire qui leur interdit d’emprunter pour financer leurs dépenses de fonctionnement. Leurs budgets doivent être votés à l’équilibre, à l’euro près, sous peine d’être retoqués par les préfets. Mais les dépenses d’investissement sont parfois faites à la limite de leur capacité d’endettement maximal, et même dans certains cas pour respecter les règles avec des expédients budgétaires sous formes de nouvelles recettes votées à l’emporte-pièce. Plus fondamentalement, les élus locaux contestent qu’on leur fasse porter la responsabilité d’un déficit qu’ils n’ont pas créé. Les collectivités ne représentent que 18 % de la dépense publique totale, contre 43 % pour la Sécurité sociale et 39 % pour l’État. « C’est un réflexe pavlovien pour Bruno Le Maire que de se défausser sur les territoires », dénonce-t-on dans les rangs des élus.
Les prestations sociales incriminées
L’analyse des comptes publics révèle que les collectivités ne sont pas les principales responsables de la dérive budgétaire. Les prestations sociales contribuent à plus de 60 % à la hausse de la dépense publique, avec une augmentation de 39,1 milliards d’euros en 2024. La faible progression des recettes fiscales de l’État – en baisse de 24,4 milliards d’euros par rapport aux prévisions – explique également une large part du dérapage.
Et surtout, les collectivités avancent des arguments de fond pour justifier leurs dépenses. L’inflation a mécaniquement renchéri leurs coûts de fonctionnement, dont elles ont pourtant abusé, notamment par un personnel parfois en surnombre et des achats de biens et services rarement maîtrisés. Leurs investissements, parfois orientés vers la transition écologique et numérique, répondent par ailleurs aux objectifs fixés par l’État lui-même.« Les collectivités ont maintenu un niveau d’investissement important, de l’ordre de 72,8 milliards d’euros, orienté pour l’essentiel vers des dépenses d’équipement », souligne la direction générale des Finances publiques.
Une contribution importante des collectivités au déficit
Le gouvernement a décidé de faire contribuer les collectivités à l’effort de redressement budgétaire. Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une ponction de 5 milliards d’euros sur leurs recettes, répartie en trois mesures principales.
D’abord, la mise en réserve d’un « fonds de précaution » de 3 milliards d’euros, alimenté par un prélèvement pouvant atteindre 2 % des recettes de fonctionnement des collectivités dépensant plus de 40 millions d’euros annuels. Ensuite, le gel de la dynamique de la TVA transférée aux collectivités, privant ces dernières de 1,2 milliard d’euros de recettes supplémentaires. Enfin, la réduction de 800 millions d’euros du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA), dont le taux passe de 16,4 % à 14,85 %.
Ces mesures s’accompagnent du maintien de l’enveloppe de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à 27,2 milliards d’euros, soit une baisse en euros constants compte-tenu de l’inflation.
L’ensemble des mesures peut entrainer un risque de récession
Les conséquences de cette politique inquiètent les économistes et les élus. La Fondation Jean-Jaurès estime que l’investissement public local pourrait se contracter de 12 milliards d’euros en 2025, soit une baisse de 16 % par rapport à 2023. Cette chute interviendrait au moment où les collectivités portent une part importante de l’effort d’investissement public national.
« L’État cherche aujourd’hui à faire contribuer les collectivités pour réduire le déficit qu’il a lui-même creusé », dénonce la fondation, qui s’inquiète des « effets récessifs non négligeables » de cette politique.