Photographie 11/12/2025

Martin Parr, Global Warning : une rétrospective posthume au Jeu de Paume

by Jean Cousin
Martin Parr, Global Warning : une rétrospective posthume au Jeu de Paume

L’exposition prévue pour janvier 2026 devient un hommage à l’œuvre du photographe britannique disparu le 6 décembre

À Paris, à partir du 30 janvier 2026,  Le Jeu de Paume présentera  une rétrospective majeure du photographe britannique Martin Parr, décédé le samedi 6 décembre à Bristol à l’âge de 73 ans. Intitulée Global Warning, l’exposition devient ainsi un hommage posthume à l’un des artistes les plus influents de la photographie contemporaine.

Membre de l’agence Magnum Photos depuis 1994, Martin Parr laisse derrière lui une œuvre qui a profondément redéfini le genre documentaire. Ses photographies aux couleurs saturées et son regard ironique sur la société de consommation ont fait de lui une figure incontournable de la scène artistique internationale.

Des débuts en noir et blanc aux couleurs saturées

 

PAM2002008Z00007-25 001
PAM2002008Z00007-25 001

Né dans le Surrey le 23 mai 1952, Martin Parr a été initié à la photographie par un grand-père passionné. Après des études à l’université de Manchester au début des années 1970, il réalise d’abord des images en noir et blanc, s’inscrivant dans la tradition des grands maîtres de l’époque. Mais c’est l’adoption de la couleur, notamment du film inversible Kodak Ektachrome, qui marquera le tournant décisif de sa carrière. « Une fois que j’ai essayé la couleur, je ne suis plus jamais revenu en arrière », confiait-il en 2022.

Cette transition coïncide avec son installation dans des communautés rurales du nord de l’Angleterre, dont il documente le quotidien avec une attention particulière aux pratiques populaires et aux loisirs de la classe ouvrière.

The Last Resort, un tournant dans la photographie documentaire

 

SWITZERLAND. Kleine Scheidegg. 1994.
SWITZERLAND. Kleine Scheidegg. 1994.

C’est au milieu des années 80 qu’il se fait remarquer avec The Last Resort, clichés de vacanciers de la middle class à Brighton. Présentée aux Rencontres de la photographie d’Arles, cette série fait date  également par la polémique qu’elle suscite. Plusieurs détracteurs accusent Martin Parr de se moquer des gens modestes, de tourner en dérision les baigneurs à la peau rougie, les enfants dans les fêtes foraines, les fish and chips engloutis au milieu des déchets.

Pourtant, The Last Resort préfigure l’ensemble de son œuvre future : l’usage systématique du flash même en extérieur, les cadrages serrés, et couleurs volontairement amplifiées. Cette approche frontale du quotidien redéfinit la portée du documentaire social britannique.

L’observateur de la société de consommation

 

Japan. Miyazaki. The Artificial beach inside the Ocean Dome. 1996.
Japan. Miyazaki. The Artificial beach inside the Ocean Dome. 1996.

Dans les années 1980 et 1990, Martin Parr concentre son objectif sur les mutations sociales du Royaume-Uni à l’ère Thatcher : désindustrialisation, nouvelles formes de consommation, émergence du tourisme de masse. Les séries The Cost of Living et Signs of the Times explorent l’ascension de la classe moyenne britannique. Il s’introduit dans les garden-parties de banlieue, les cours d’aérobic, les réunions d’étudiants, les intérieurs kitsch de la fin des années 1980.

Avec Small World, le photographe élargit son regard au tourisme mondialisé. Des plages de Benidorm aux grottes de Capri, il capture l’uniformisation des comportements touristiques avec une distance critique teintée d’humour. « J’aime et je hais l’Angleterre en même temps », déclarait-il après le Brexit en 2016. « Ce que je fais dans ma photographie est de capturer cette ambiguïté. »

Une entrée controversée chez Magnum

 

PAM1999018Z00020-16
USA. New York. Fashion shoot for Amica. From ‘Fashion Magazine’. 1999.

Son adhésion à l’agence Magnum en 1994 ne se fait pas sans heurts. Henri Cartier-Bresson s’oppose initialement à son entrée, jugeant son approche trop éloignée de la photographie humaniste traditionnelle. Une pétition circule même parmi les membres pour exclure sa candidature. Mais Cartier-Bresson finira par écrire à Parr : « Nous appartenons à deux systèmes solaires différents – et pourquoi pas ? »

Non seulement Martin Parr intègre l’agence, mais il en devient le président de 2013 à 2017, contribuant à sa modernisation. La Fondation Henri Cartier-Bresson proposera d’ailleurs en 2022 une exposition de réconciliation entre les deux artistes, intitulée Les Anglais / The English.

Un artiste prolifique et collectionneur compulsif

 

USA. Las Vegas. 2000.
USA. Las Vegas. 2000.

Au-delà de son œuvre photographique, Martin Parr s’est distingué par une production éditoriale exceptionnelle : plus de 120 livres publiés au cours de sa carrière. Chaque publication devient un objet en soi, un chapitre de son observation du monde.

Collectionneur compulsif, il constitue également une bibliothèque extraordinaire d’ouvrages consacrés à la photographie, incluant notamment une section remarquable dédiée à la photographie chinoise, et présentée aux Rencontres d’Arles. En 2017, il ouvre sa propre fondation à Bristol, à la fois lieu d’exposition, maison d’édition, librairie et bibliothèque.

L’exposition Planète Parr, présentée au Jeu de Paume en 2009, avait révélé cette dimension de collectionneur, et instaurait un dialogue entre ses photographies et sa vaste collection d’objets hétéroclites, livres rares et curiosités en prise directe avec l’actualité politique ou sociale.

Un héritage durable

 

ITALY. Venice. A tourist takes a picture while pigeons surround her. 2005.
ITALY. Venice. A tourist takes a picture while pigeons surround her. 2005.

Martin Parr aura légitimé une approche plus personnelle, plus colorée et plus critique de la photographie documentaire. Préférant capturer le quotidien plutôt que de fréquenter les zones de guerre, ce photographe portant chaussettes et sandales a développé une pratique du selfie avant l’heure des réseaux sociaux en n’hésitant pas à s’inclure dans certaines de ses compositions.

En 2021, la reine Elizabeth II lui décerne le titre de Chevalier de l’Ordre britannique pour « services extraordinaires rendus à la photographie ». Un documentaire, I Am Martin Parr, réalisé par Lee Shulman, lui est consacré en 2024. Une première biographie, Complètement paresseux et étourdi écrite par Wendy Jones paraît en septembre 2025.

Diagnostiqué d’un myélome en mai 2021, Martin Parr n’avait jamais cessé de travailler. Il participait encore en septembre dernier à une rencontre avec les amis du Jeu de Paume à sa fondation de Bristol.

« Au-delà de son œuvre à la fois profonde et légère — des qualités extrêmement rares —, il a été une force extraordinaire dans le monde de la photographie, soutenant avec générosité des artistes issus de générations très différentes », déclare Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume.

L’exposition Martin Parr, Global Warning sera donc une célébration en sa mémoire, l’occasion de redécouvrir un regard unique qui aura transformé nos habitudes les plus ordinaires en miroir social.


INFORMATIONS PRATIQUES :

Martin Parr, Global Warning Jeu de Paume, Paris Du 30 janvier au 25 mai 2026 1, place de la Concorde, 75001 Paris

GB. England. Salford. Spending Time. 1986.
GB. England. Salford. Spending Time. 1986.
Leave a comment