News 22/11/2025

Monaco renforce sa souveraineté juridique par un cursus universitaire sur le Droit monégasque

by Jean Cousin

L’Université Paris-Panthéon-Assas rejoint un dispositif de formation au Droit monégasque, témoignant des ambitions de la Principauté en matière d’indépendance judiciaire et de rayonnement institutionnel.

Dans la sobre élégance de la Salle du Conseil d’État du Palais de Justice monégasque, ce mardi 18 novembre 2025, un acte hautement symbolique des relations entre la Principauté et les institutions universitaires françaises a été inauguré. Le lancement officiel du Diplôme Interuniversitaire (DIU) de Droit monégasque à l’Université Paris-Panthéon-Assas marque une nouvelle étape dans la stratégie de Monaco visant à affirmer sa spécificité juridique et à consolider les compétences de ses futurs cadres judiciaires.

Une coopération pédagogique aux enjeux politiques

La signature de la convention pédagogique entre l’Institut Monégasque de Formation aux Professions Judiciaires (IMFPJ), l’Université Nice Côte d’Azur et l’Université Paris-Panthéon-Assas s’est déroulée en présence de personnalités incarnant l’imbrication entre éducation, justice et pouvoir exécutif. Samuel Vuelta Simon, Secrétaire d’État à la Justice, Stéphane Braconnier, Président de l’Université Paris-Panthéon-Assas, Yves Strickler, Directeur scientifique de l’IMFPJ, et Delphine Lanzara, Chargée de mission au sein de la Direction des Services Judiciaires, ont formalisé un partenariat qui dépasse le simple cadre académique.

Cette cérémonie intervient dans un contexte où Monaco cherche à répondre à une double problématique : une connaissance partielle de son système juridique et la nécessité de former une relève qualifiée pour ses institutions judiciaires. Comme l’a souligné le Secrétaire d’État à la Justice, Samuel Vuelta-Simon, la justice monégasque souffre d’être « mal connue, mal comprise, mal identifiée » au-delà des frontières de la Principauté.

Un dispositif de formation échelonné sur trois ans

Créé en septembre 2024 par l’IMFPJ en partenariat avec les Facultés de droit et de science politique des Universités Côte d’Azur et d’Aix-Marseille, ce diplôme propose une formation de 120 heures réparties sur trois années. L’adhésion de Paris-Panthéon-Assas, troisième grande université française à rejoindre le dispositif, amplifie significativement sa portée géographique et symbolique.

Le DIU s’adresse prioritairement aux étudiants monégasques poursuivant leurs études à Nice, Aix-en-Provence ou Paris, mais reste ouvert aux étudiants français et internationaux souhaitant se spécialiser dans ce droit singulier. Cette ouverture contrôlée témoigne d’une volonté de rayonnement sans pour autant diluer l’objectif prioritaire : former les futures élites judiciaires et administratives de la Principauté.

Pour Samuel Vuelta-Simon « ce diplôme interuniversitaire était nécessaire, et développer cette initiative s’imposait, tout simplement parce que nous constatons tous, et je l’ai moi-même constaté en arrivant en Principauté, que la justice de Monaco était mal connue, mal comprise, mal identifiée. Il était donc nécessaire que l’on puisse essayer de changer la donne. Il fallait donner aux universitaires et étudiants les bases de la connaissance de notre droit particulier qui est le droit monégasque. »

L’affirmation d’une souveraineté juridique

Au-delà de l’aspect pédagogique, ce diplôme s’inscrit dans une démarche politique assumée. Le Secrétaire d’État à la Justice n’a pas caché son objectif principal : susciter chez les jeunes étudiants monégasques « l’envie de rejoindre la justice de Monaco » en passant notamment le concours de la magistrature monégasque. Cette ambition de former un vivier national de magistrats et de juristes répond à une préoccupation récurrente des petits États : celle de garantir leur autonomie institutionnelle face à la dépendance vis-à-vis des compétences étrangères.

La participation du directeur de l’Éducation nationale monégasque à la cérémonie souligne la dimension stratégique du projet. Comme l’a rappelé un intervenant, bien que la justice soit indépendante, elle s’inscrit pleinement dans l’État monégasque. Cette coordination entre le Secrétariat d’État à la Justice et le Gouvernement princier manifeste une approche globale, depuis la formation scolaire jusqu’à l’enseignement supérieur, qui vise à préparer les jeunes Monégasques à servir leur pays.

Des liens historiques entre Paris-Panthéon-Assas et Monaco

L’adhésion de Paris-Panthéon-Assas n’est pas fortuite. Stéphane Braconnier a rappelé l’ancienneté des relations entre son université, héritière de la Faculté de Droit de Paris, et la Principauté. Depuis plusieurs décennies, des professeurs parisiens siègent au Tribunal suprême de Monaco et contribuent au fonctionnement de ses institutions judiciaires. Ces liens personnels et institutionnels ont naturellement conduit l’université parisienne à rejoindre ses homologues méditerranéennes dans ce projet pédagogique.

Pour le président de Paris-Panthéon-Assas, ce partenariat permet de « renforcer la capacité de la Principauté de Monaco à accompagner le renforcement des compétences » face aux enjeux juridiques de plus en plus complexes du monde contemporain. Il souligne également que de nombreux étudiants monégasques choisissent traditionnellement Paris-Panthéon-Assas pour leurs études de Droit, créant une communauté naturelle que ce diplôme vient formaliser et structurer.

À cette occasion, Stéphane Baconnier  a déclaré: “En tant que président de l’Université Paris-Panthéon-Assas je suis heureux de rejoindre cette convention parce que les liens entre la Principauté de Monaco et l’Université Paris-Panthéon-Assas sont des liens très anciens.Certes il existait des liens évidemment personnels du fait que, de longue date, les professeurs de l’Université de Paris-Panthéon-Assas, héritière de droit de l’Université de Paris, venaient notamment à Monaco sièger au tribunal suprême, mais pas seulement, et ces liens très anciens ont fait qu’il y a une relation, je dirais très solide, et très ancienne entre notre université et la principauté de Monaco.”

Un outil au service du rayonnement institutionnel

Au-delà de la formation technique, les initiateurs du DIU le  voient comme un instrument de soft-power juridique. En formant des juristes familiers du droit monégasque, qu’ils soient ressortissants ou non de la Principauté, Monaco espère créer un réseau d’ambassadeurs de son système juridique. Ces futurs professionnels du droit, avocats, magistrats, juristes d’entreprise ou fonctionnaires, seront appelés à exercer dans des contextes variés où leur connaissance du droit monégasque constituera un atout professionnel et un facteur de reconnaissance pour la Principauté.

Le directeur scientifique de l’IMFPJ a insisté sur cette dimension : « Former, c’est une nécessité pour faire connaître et reconnaître le droit monégasque, montrer toutes les spécificités de cette nation ». Cette approche s’inscrit dans une stratégie plus large qui vise à affirmer la singularité juridique monégasque dans un contexte régional marqué par l’harmonisation européenne du Droit et la prédominance des systèmes juridiques des grands États.

La particularité du droit monégasque

Le Droit monégasque présente des spécificités qui justifient une formation dédiée. Bien qu’influencé par le droit français, dont il partage de nombreuses structures, il possède ses propres codes, ses particularités en matière de droit constitutionnel, de droit administratif, de droit fiscal et de droit civil. La Principauté dispose d’un système juridictionnel complet avec ses tribunaux de première instance, sa Cour d’appel et son Tribunal suprême, fonctionnant selon des règles procédurales qui lui sont propres.

Cette autonomie juridique, fondement de la souveraineté monégasque, demande à être enseignée et transmise pour perdurer. Dans un territoire de deux kilomètres carrés où résident environ 39 000 personnes, la formation des juristes ne peut reposer uniquement sur les capacités internes. De là l’importance stratégique de ce partenariat avec les universités françaises, qui permette aux étudiants monégasques de bénéficier d’une double formation : celle, générale, du droit français et européen, et celle, spécialisée, du droit de leur pays.

Une formation continue pour les professionnels

Le dispositif ne se limite pas aux étudiants en formation initiale. Il s’adresse également aux professionnels en activité souhaitant se spécialiser en Droit monégasque ou proposer des services juridiques renforcés à leur clientèle. Cette dimension de formation continue répond à une demande croissante, car Monaco attire de nombreuses entreprises et fortunes internationales nécessitant un accompagnement juridique spécialisé.

Avocats français, notaires, juristes d’entreprise ou fonctionnaires peuvent ainsi acquérir une compétence distinctive sur un marché juridique où l’expertise en droit monégasque reste rare et recherchée. Cette ouverture transforme le DIU en un outil de développement économique indirect, en enrichissant l’écosystème de compétences juridiques autour de la Principauté.

Deux conventions pour une ambition globale

Cette cérémonie du 18 novembre a donné lieu à la signature de deux conventions distinctes. La première acte l’extension du DIU à l’Université Paris-Panthéon-Assas, élargissant le réseau universitaire partenaire. La seconde formalise un partenariat entre l’IMFPJ et la Direction de l’Éducation nationale, de la jeunesse et de l’histoire de Monaco.

Cette seconde convention illustre la volonté de créer une continuité pédagogique depuis l’enseignement secondaire jusqu’à l’université. En sensibilisant les lycéens monégasques aux particularités de leur système juridique et aux opportunités de carrière dans les professions judiciaires, Monaco espère susciter des vocations précoces, et préparer l’orientation de ses jeunes vers ce cursus spécialisé.

Une justice indépendante mais inscrite dans l’État

L’un des paradoxes relevés lors de la cérémonie concerne le statut de la Justice monégasque. Tout en réaffirmant son indépendance, les autorités ont souligné qu’elle s’inscrit pleinement dans l’État. Cette formulation, apparemment contradictoire, reflète l’équilibre institutionnel propre à la Principauté : une justice indépendante dans ses décisions, mais dont les magistrats sont nommés par le Prince et dont le fonctionnement relève de l’organisation étatique.

Cette spécificité monégasque, où se mêlent tradition monarchique et standards démocratiques modernes, nécessite précisément le type de formation que propose le DIU. Les futurs magistrats et juristes monégasques doivent comprendre ces subtilités institutionnelles qui font l’originalité du système juridique de la Principauté.

La question du recrutement des magistrats

Le Secrétaire d’État à la Justice a clairement identifié le recrutement des magistrats comme une priorité personnelle. Dans un système où les magistrats sont majoritairement français, détachés ou mis à disposition par la France, la création d’un vivier de magistrats monégasques ou formés au droit monégasque représente un enjeu de souveraineté.

Le concours de la magistrature monégasque, auquel le DIU doit préparer, en constitue la voie d’accès privilégiée. En facilitant cette préparation, Monaco espère attirer davantage de candidats nationaux et réduire progressivement sa dépendance vis-à-vis du système judiciaire français, sans pour autant rompre des liens qui restent essentiels au bon fonctionnement de ses institutions.

Un modèle de coopération transfrontalière

Ce partenariat universitaire illustre un modèle original de coopération entre un micro-État et ses voisins. Plutôt que de créer une université nationale aux moyens nécessairement limités, Monaco choisit de s’appuyer sur les infrastructures universitaires françaises tout en y greffant un enseignement spécialisé correspondant à ses besoins spécifiques.

Cette stratégie pragmatique permet à la Principauté de bénéficier du prestige et des ressources des grandes universités françaises tout en affirmant sa singularité. Les étudiants monégasques obtiennent ainsi des diplômes reconnus internationalement tout en acquérant une expertise unique sur leur propre système juridique.

Les défis de la pérennisation

Malgré l’enthousiasme affiché lors de la cérémonie, le DIU devra relever plusieurs défis pour s’installer durablement. Le premier concerne l’attractivité du cursus auprès des étudiants monégasques, qui doivent accepter une charge de travail supplémentaire de 120 heures réparties sur trois ans. Le second porte sur la qualité et la disponibilité des enseignants qui doivent conjuguer expertise universitaire et connaissance pratique du droit monégasque.

La coordination entre quatre institutions situées dans trois villes différentes représente également un défi logistique non négligeable. La réussite du dispositif dépendra de la capacité des partenaires à maintenir une cohérence pédagogique et à mutualiser efficacement leurs ressources.

Une ambition qui dépasse le cadre juridique

Au-delà de la dimension strictement juridique, ce diplôme s’inscrit dans une politique plus globale de Monaco visant à renforcer son assise institutionnelle et son rayonnement international. En formant ses propres élites, en créant un réseau d’experts de son système juridique et en s’associant à des institutions universitaires prestigieuses, la Principauté affirme sa capacité à exister comme entité souveraine malgré sa taille réduite.

Cette démarche s’inscrit dans un contexte où les micro-États européens, qu’il s’agisse de Monaco, du Liechtenstein, d’Andorre ou de Saint-Marin, cherchent à préserver leur singularité institutionnelle face aux dynamiques d’harmonisation européenne et à la prédominance des grands États. La formation universitaire devient ainsi un outil de soft-power et de préservation de la souveraineté.

Un investissement sur le long terme

Les premiers effets de ce diplôme ne se feront sentir que dans plusieurs années, lorsque les premières promotions auront terminé leur cursus et intégré les professions judiciaires. La formation de magistrats, d’avocats et de juristes maîtrisant parfaitement le droit monégasque nécessite du temps, d’autant que le cursus s’étale sur trois ans et s’ajoute à une formation juridique générale de cinq années.

Néanmoins, les autorités monégasques semblent prêtes à cet investissement de long terme, conscientes que l’autonomie juridique et judiciaire constitue un pilier fondamental de leur souveraineté. Dans un monde où le droit devient un enjeu de pouvoir et de compétition économique, disposer de juristes formés et compétents représente un atout stratégique majeur.

Les enjeux pour l’avenir

Au-delà de la formation initiale, ce diplôme pourrait ouvrir la voie à d’autres développements. Certains évoquent déjà la possibilité de créer à terme un master complet en droit monégasque, voire d’attirer à Monaco des centres de recherche en Droit comparé. La Principauté pourrait ainsi devenir un lieu de réflexion sur les spécificités juridiques des micro-États et leur adaptation aux défis contemporains.

D’autres voient dans ce dispositif un modèle transposable à d’autres domaines. Si la formation de juristes apparaît prioritaire, Monaco pourrait envisager des partenariats similaires dans d’autres secteurs stratégiques comme la finance, l’environnement ou les technologies numériques, domaines où la Principauté cherche également à développer ses compétences propres.

Une cérémonie hautement symbolique

Le choix du lieu pour cette cérémonie – la Salle du Conseil d’État du Palais de Justice – n’était pas anodin. En organisant la signature dans ce haut lieu de la Justice monégasque, les autorités ont voulu marquer le caractère solennel et institutionnel de l’événement. La présence conjointe du Secrétaire d’État à la Justice et du directeur de l’Éducation nationale manifestait l’engagement de l’État monégasque dans son ensemble.

Cette mise en scène institutionnelle contraste avec la discrétion habituelle des partenariats universitaires, et souligne l’importance politique accordée à ce projet par les autorités de la Principauté. Pour Monaco, il ne s’agit pas d’un simple accord pédagogique mais d’un acte de politique institutionnelle s’inscrit dans la durée.

Conclusion : un pari sur l’avenir

Le lancement du Diplôme Interuniversitaire de Droit Monégasque à l’Université Paris-Panthéon-Assas représente bien plus qu’une simple extension géographique d’un cursus existant. Il témoigne de la volonté de Monaco de prendre en main la formation de ses futures élites judiciaires et juridiques, tout en s’appuyant sur les ressources et le prestige des grandes universités françaises.

Dans un contexte international où les micro-États doivent constamment justifier leur existence et leur pertinence, Monaco fait le pari que l’investissement dans la formation et la connaissance constitue la meilleure garantie de sa pérennité institutionnelle. En formant des juristes capables de maîtriser les subtilités de son système juridique, la Principauté se donne les moyens de défendre sa singularité et de projeter son influence au-delà de ses deux kilomètres carrés.

Le succès de cette initiative se mesurera dans les années à venir, au nombre d’étudiants formés, de magistrats recrutés et de juristes capables de faire rayonner le droit monégasque dans la région et au-delà. Pour l’heure, Monaco a posé les bases d’un dispositif ambitieux qui pourrait faire école auprès d’autres micro-États confrontés aux mêmes nécessité de souveraineté et de bonne connaissance de leurs règles institutionnelles.

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