Feature 17/03/2015

Le Film Anton Tchekhov 1890 : Magistral.

by Rédaction

ANTON TCHEKHOV – 1890 est le dix-huitième film de René Féret, un nouveau défi pour ce réalisateur qui avoue:   »  Quelle prétention j’ai eu à vouloir me comparer à lui. Tchekhov est vraiment génial et je ne suis qu’une nullité… !  »  Tout le film prouve qu’il n’en est rien.

Une apparente biographie

René Féret ne nous livre pas une biographie, pas plus qu’ il ne s’ assimile avec démesure au romancier russe. René Féret met en scène Tchekhov et impulse une lecture dramatique de sa vie. La biographie est bien loin. Dans cette production tout est action, mais une action qui se déploie selon plusieurs axes narratifs. En apparence, le choix est de suivre une succession chronologique: la découverte du talent d’Antocha Tchékhonté, le succès d’Anton Tchekhov, son désespoir à la mort de l’un de ses frères, Kolia, et l’accomplissement du projet qu’ils avaient formé d’aller sur l’île de Sakhaline pour témoigner des conditions de vie des bagnards qui y sont relégués à vie. Il s’y rend, témoigne.

Bien au-delà d’une simple biographie

Mais au fur et à mesure que le film progresse, de nouvelles lectures s’ imposent, sans que le fil de la narration semble rompu. Le spectateur perçoit son dédoublement, la poursuite, la diffusion d’ une intrigue si riche qu’elle possède en elle plusieurs possibles. Et le titre choisi par René Féret, ANTON TCHEKHOV – 1890, se révèle une clé pour appréhender cette narration. Car 1890 n’évoque ni  le début de la carrière littéraire de Tchekhov, en tant que tel, en 1886, ni les premiers écrits qui datent de 1880, mais impose comme point fixe la date du voyage à Sakhaline, un épisode construit par tout ce qui s’ est passé antérieurement, et grâce auquel Tchekhov retrouve l’écriture.  ANTON TCHEKHOV – 1890, sans le dire, invite à découvrir une approche intériorisée de l’œuvre du romancier, une lecture réalisée avec l’empathie de René Féret pour celui qu’il considère comme  » un champion, < qui> laisse tout le monde sur place. Une mémoire incroyable, un don d’observation colossal » .

Des choix multiples

En réalité, cette production se construit selon un jeu complexe de narrations. Les éléments biographiques servent une mise en scène de l’œuvre de Tchekhov: nouvelles, romans, pièces de théâtre, et récits autobiographiques. Ce sont ses textes tantôt lus, tantôt mis en scène, toujours interprétés avec justesse et mesure qui tissent la trame de cette réalisation. Il y a Anton Tchekhov le jeune écrivain qui se dissimule sous un pseudonyme, la vie du médecin de campagne Anton Tchekhov, les scènes de la vie de famille Tchekhov, Anton Tchekhov et les femmes, Anton Tchekhov reporteur, Anton Tchekhov écrivain célèbre, Anton Tchekhov dramaturge. Toutes ces voix sonnent vrai, des constats bruts, pas de romantisme, pas de larmes, des réalités exprimées dans une langue à niveau d’homme et de femme. Et pour le spectateur c’est quasiment la brutalité d’un reportage affutée par la construction polyphonique d’ un réalisateur qui maîtrise texte et image .

Une image au service du texte

Les images structurent la pluralité des vécus. Chaque thème se fond dans une progression servie par des décors soignés. Travaillé de façon très picturale, l’éclairage joue souvent sur les clairs-obscurs dans les scènes d’intérieur comme dans les paysages nocturnes, tandis que la luminosité naturelle des scènes extérieures participe efficacement, avec réalisme, à la découverte progressive de l’action du romancier. L’entrelacs subtil de la sensibilité du réalisateur et de celle du texte tisse une mélodie  de mots, d’humour, de tendresse pour ce monde des humbles de la Russie de la fin du dix-neuvième siècle. Sensations, rêves, et visages paraissent issus directement de l’œuvre, avec en contrepoint le plan de l’écrivain écrivant.

Les interprétations de Nicolas Giraud, Lolita Chammah, Robinson Stévenin, Jenna Thiam ou Marie Féret résonnent d’une simplicité émouvante, modulée avec justesse, et ceux qui leur donnent la réplique le font avec une égale qualité. Rêne Féret en écrivant, réalisant et produisant  ANTON  TCHEKHOV- 1890 a relevé un défi, celui de se confronter avec celui qui » pose la plume sur le papier et quand <il> la relève, l’histoire est terminée ». Le spectateur, lui aussi, lorsqu’il pose son regard sur ce film ne peut également le détourner que lorsqu’il est terminé. Magistral.
Dominique Grimardia

ANTON TCHEKHOV – 1890, de René Féret, avec Nicolas Giraud, Lolita Chammah, Robinson Stévenin, Jenna Thiam, Marie Féret, musique de Marie-Jeanne Séréra, montage fabienne Féret, décors Véronica Frühbrodt, France 2015

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