Le Sénat a été le théâtre d’un fragile numéro d’équilibriste réalisé par la ministre des Transports Élisabeth Borne. Avec l’appui des rapporteurs celle-ci n’a pas souhaité donner suite aux différentes propositions formulées par PCF. En effet, lors de la session du 29 mars du Sénat le PCF menait une politique d’intervention dans le but de faire modifier la portée des propositions de loi formulées par les sénateurs Hervé Maurey (UDI) et Louis Nègre (LR). Le PCF souhaitait en effet faire introduire un amendement visant à encadrer l’ouverture à la concurrence du Rail français. De fait les principales orientations retenues par Hervé Maurey et Louis Nègre font qu’à compter du 3 décembre 2019 l’ouverture à la concurrence des services conventionnés sera actée.
Des expérimentations sur des portions de réseaux auraient pu être envisagées – et ce il y a déjà quelques années- afin de tester l’ouverture à la concurrence. Mais dorénavant les délais de mise en oeuvre sont trop réduits pour retenir cette option. De plus cette mise en oeuvre ne sera pas effective dans les faits au jour de l’ouverture à la concurrence, mais de façon progressive par le jeu du renouvellement des conventions signées entre les autorités organisatrices et SNCF Mobilités.
Une grande majorité des conventions entre les régions et SNCF Mobilités sont d’ailleurs en cours de négociation, et devraient être signées d’ici la fin 2018. Et » si ces conventions durent six à sept années, comme c’est le cas en moyenne, l’ouverture effective du marché n’aura lieu qu’entre 2023 et 2025″, indiquent les sénateurs. Toutefois les régions volontaires, qui ont prévu un dispositif spécifique dans leur convention avec SNCF Mobilités comme l’a par exemple fait la région Grand Est, pourront ouvrir à la concurrence tout ou partie de leurs services à partir du 3 décembre 2019.
Hervé Maurey et Louis Nègre, dans leur proposition de loi, optent, quant à eux, pour une solution immédiate, afin que cette libéralisation soit effective sur l’ensemble du territoire. Ils n’ont donc pas retenu les dérogations autorisées par le quatrième paquet ferroviaire de façon à limiter ou retarder l’ouverture à la concurrence.
Dans ce cadre prédéterminé il apparaît aussi que les différents amendements présentés par le groupe républicain-citoyen et écologique n’étaient pas de nature à transformer radicalement les textes présentés. Il s’agissait, par exemple, de ne pas envisager le recours au contrat de partenariat PPE entre l’État et le privé, dont les conséquences négatives sur les finances publiques sont par ailleurs régulièrement soulevées par le Conseil d’État.
La position tenue par la ministre et l’un des rapporteurs fut, malgré tout, plus qu’assez prudente car il ne s’agissait pas, pour le moins, de propositions d’amendements particulièrement audacieuses, mais de positions dont certaines furent même mises en exergue par la Cour des comptes.
L’enchaînement des justifications pour s’opposer aux amendements fut malgré tout, parfois réellement étonnant. Le rapporteur balaya en effet l’amendement par ces mots: « Le sujet dépasse de loin la proposition de loi ». Et, dans son extrême prudence, la ministre des Transports de proposer « le retrait en attendant de débattre des financements ».
Même des amendements de détails, comme prévoir l’intervention du Conseil Régional dans l’amendement numéro 10 dans le cadre de la compétence « pour l’organisation des transports régionaux de voyageurs, considéré par le rapporteur Jean François Loget « comme un amendement prématuré », fut pour Élisabeth Borne l’occasion de réaffirmer « l’objectif de la réforme globale est de retrouver une trajectoire financière équilibrée »
Mais, alors que les négociations sont, du point de vue des syndicats, inexistantes, et la source d’un conflit annoncé pour plusieurs mois, la ministre des Transports s’est plue à répéter pas moins de 19 fois le nom « sagesse », et ce même en l’absence totale d’arguments contraires. Il semblerait qu’ aux yeux d’Élisabeth Borne seule l’évocation « des discussions en cours », appuyée par une sempiternelle « sagesse », ou encore la phrase « les concertations sont en cours », ou même l’évocation du « résultat des concertations qui sont en cours » font figure d’arguments de nature à refuser tout amendement. Au final, au Sénat, le message porté par la ministre à l’opposition était que rien n’était négociable.
De ces débats ne résulterait-il pas aussi le possible sentiment de considérer les positions inflexibles de la ministre précisément somme toute comme peu empreintes de «sagesse»?