Après son exposition sur Foujita, Sylvie Buisson reprend avec ampleur le thème de l’une de ses précédentes expositions, « Les Femmes à Montparnasse », et propose une réflexion sur les femmes artistes dans une exposition au château de Chamerolles. 200 oeuvres sculptées et peintes, 150 documents historiques et la reconstitution de l’atelier de Rosa Bonheur, nous permettent d’appréhender combien le statut de femmes- artistes soulève d’interrogations et révèle l’un des plus forts paradoxes du monde de l’art. En suivant un parcours chronologique qui commence en 1590 à Anvers avec Clara Peeters et s’achève au XX ème siècle avec Nicky de Saint-Phalle, cette exposition permet d’appréhender combien l’accès à l’art a été difficile pour les femmes, dès lors qu’elles voulaient s’y imposer en tant que créatrices.
C’est là l’un des premiers paradoxes de la présence des femmes dans le monde de l’art. Déshumanisées à force d’être trop humaines, réduites à leur corps, les femmes étaient ces objets interchangeables, sans véritable caractère, quasiment virtuelles à force d’être représentées au crible des conventions plastiques de chaque époque par le maître absolu, l’artiste, un homme, ce Pygmalion de toute éternité. Longtemps leur présence ne fut tolérée que pour la jeunesse et la beauté qu’elles incarnaient. Elles donnaient sens à la création sans y participer, personnifiaient une création de toute éternité placée dans l’ombre de l’homme. Muses ou modèles elles sont réduites à un statut symbolique et précaire. Leur accession au statut de créatrice relève de l’exploit, souvent du hasard d’une naissance dans une famille d’artistes, ou de la conjonction exceptionnelle de paramètres sociaux et culturels et esthétiques qui les autorisent, sous le regard bienveillant d’un homme ou d’une femme de pouvoir, à exercer cet art réservé exclusivement à des hommes jusqu’au dix-neuvième siècle.
Dans ces conditions le statut de femme-artiste est, somme toute, un oxymore social, la juxtaposition d’un statut et d’une activité par nature inconciliables. Et pourtant, en dépit de ces non-dits, sourd une volonté tenace d’accéder aux mêmes droits que les hommes. Malgré le poids des conventions, le XIXe siècle révèle la conquête des ateliers. Les premières académies ouvertes aux femmes apparaissent, une émancipation s’effectue aussi par rapport aux sujets traités et/ou autorisés. Progressivement elles acquièrent un véritable statut d’artiste, s’affranchissent de l’académisme pour suivre les voies les plus audacieuses de la création. Berthe Morisot, Mary Cassat sont des actrices de premier plan de l’impressionnisme. Grâce aux personnalités de Marie Laurencin, d’Alice Halicka ou de Natalya Gontcharova, parmi tant d’autres, le vingtième siècle semble enfin placé sous le signe d’une création féminine tous azimuts.
Sylvie Buisson oriente aussi le regard sur les différents modus operandi de la femme-artiste. Dédiée d’abord aux natures mortes et autres peintures de genre, la femme artiste doit attendre trois siècles pour obtenir l’égalité en droits dans le monde de l’art. Toutefois, malgré ces obstacles, leurs productions révèlent des travaux où le sens esthétique ne cesse de le disputer à des choix de thèmes, de médian, une maîtrise de la matière remarquable. Lorsque Clara Peeters se saisit de la nature morte, elle la construit avec une maîtrise telle que les objets se prolongent les uns les autres en dialoguant. Leurs autoportraits traduisent une subtile sensibilité et transmettent une conscience aigüe de leur statut. Et c’est peut-être leur statut marginal qui produit ce traitement de la couleur et du mouvement un pas au-delà des conventions, toujours avec l’audace d’introduire dans leurs œuvres l’influence de domaines culturels délaissés.
En orientant le regard sur le difficile parcours de la femme créatrice, Sylvie Buisson révèle combien aujourd’hui encore, la création est difficile à investir en tant que femme lorsqu’elle travaille seule. Et même si l’exposition inverse la domination masculine avec 65 femmes artistes contre 53 hommes, leur rôle de précurseur, et la qualité de leurs oeuvres montre combien ces destins demeurent exceptionnels. Ce regard croisé entre hommes et femmes artistes, le choix scénographique d’imbriquer de façon complémentaire les principes masculin et féminin confirme combien rares restent les femmes à imposer leur talent. La confrontation masculin/ féminin révèle aussi combien la qualité de ces travaux est incontestable. Ne le cédant en rien à celle de ceux qui furent parfois leurs compagnons, elles ajoutent dans la création tantôt un frémissement tragique, tantôt une distance teintée d’humour.
Interview de Sylvie Buisson, commissaire de l’exposition « Femmes-Artistes : passion, muses et modèles »
Sylvie Buisson que vous a apporté le Japon par rapport à cette exposition ?
- – Ce sujet m’a été inspiré par le Japon. Lorsque j’ai réalisé l’exposition sur Foujita, j’ai remarqué que les Japonais étaient fascinés par le fait que la femme en Occident soit légale de l’homme. Effectivement au Japon, et encore maintenant, la femme japonaise est très soumise. Tout cela m’a amenée à approfondir la question du personnage de la femme-artiste à travers les âges c’est-à-dire depuis la Renaissance.
Le Japon vous a-t-il apporté une autre clé dans votre démarche ?
- – Travailler avec des Japonais m’a également enseigné la patience et permis d’apprécier la distance.
Dans cette exposition et, même si le sujet principal est la femme, l’homme est omniprésent. Pour votre part travaillez-vous en tandem ?
- – Pour cette exposition j’ai réalisé un travail solitaire, c’est en quelque sorte une exposition de l’indépendance, et aussi une exposition de la maturité.
Cette exposition révèle un choix éclectique et un éventail très large d’oeuvres.
- – Pour moi cette exposition n’est pas anodine, j’ai essayé d’enlever tous les filtres qui pouvaient donner une image faussée de la création féminine. Le choix des artistes est un choix audacieux, mais ce n’est jamais un étalage. Chaque oeuvre est présentée afin de démontrer la lente progression, l’évolution de la femme créatrice. C’est aussi l’histoire progressive de leur émancipation.
Sylvie Buisson, pouvez-vous nous parler de vos projets ?
- – Pour 2013 je prépare une nouvelle exposition sur Foujita, ce sera une exposition itinérante dans cinq musées japonais, un hommage à Foujita en 1913, Foujita avant Paris.
Femmes artistes : passion, muses et modèles
Exposition du 16 juin au 19 août 2012, Grande Halle du Château de Chamerolles, 45170 Chilleurs-aux-Bois, Loiret.
Dominique Grimardia
Forks magazine © Forks 2012