Septembre est le mois des rentrées: scolaire, universitaire, et aussi littéraire. 589 romans publiés en cette rentrée en France de la mi-août à fin octobre, prélude incontournable à la toujours médiatique effervescence de la remise des prix littéraires de la fin de l’automne. Rivalités éditoriales, destins d’écrivain. Sans ignorer cette formidable médiatisation de la création littéraire, il existe des romans qui ne paraissent pas chez les plus grands, mais qui témoignent d’un talent
et ramènent le lecteur au plaisir de lire, sur un mode discret mais avec une efficacité certaine. Desaparecidos est du nombre.
Ce roman se construit sur le fond historique du » Processus de réorganisation nationale » instauré par la junte argentine qui, après le coup d’Etat du 24 mars 1976, fit basculer l’Argentine dans la dictature. S’ensuivit un régime de terreur, pendant lequel 30 000 personnes disparurent: ce sont les desaparecidos. 1,5 million d’argentins s’exilèrent, 15 000 furent fusillés, 9 000 devinrent prisonniers politiques, et 500 bébés furent enlevés à leurs parents desaparecidos puis confiés à des familles proches du pouvoir. Mais Desaparecidos n’est pas un roman historique. L’Histoire y fonctionne en contrepoint comme la « cortina » lors d’un bal de tango. Les évènements d’ Argentine sont évoqués avec sobriété, précision. Ils génèrent l’intrigue, l’expliquent, révèlent les noeuds dramatiques. Ils apparaissent avec le personnage de Violetta, enfant de l’Histoire, puisque son père est l’un de ces desaparecidos, et elle-même initie la mise en marche du roman. Les éléments historiques affleurent, soumis à une organisation musicale de l’intrigue, et réciproquement la vie des personnages se désarticule par rapport à l’Histoire, chacune constituant un morceau de cette partition avec sa tonalité particulière.
Desaparecidos est plus une construction romanesque, en dépit d’une structure très précise de l’intrigue. Un soir de juin 1976 Esperanza se réfugie au Teatro Colon de Buenos Aires. C’est là que Gabrielle Avril, diva lyrique, et son assistant, Leonardo, la découvrent, portant dans ses bras un bébé nommée Violetta, comme l’héroïne de la Traviatta. Grace à Gabrielle Avril et Leonardo « le chemin d’Esperanza et de Violetta les dirigea donc vers la France ». Dès lors 5 vies se déploient, 5 « tandas », pour reprendre la chorégraphie du tango,, qui fonctionnent comme les unités de ce roman; elles imposent un tempo fluide développé en une vingtaine d’actes. Roman polyphonique Desaparecidos déploie des vies riches, fortes, des personnages divers que l’ Histoire et leurs talents rapprochent. Les uns sont des stars, comme Gabrielle Avril, d’autres appartiennent aux coulisses comme Esperanza ou Leonardo. Mais tous possèdent la fierté d’un tanguero, Chacun se construit un destin sans compromis, passionné, avec des sacrifices mais aussi avec humanité. Les uns se montrent, semblent se révéler, d’autres choisissent de se cacher, refusent de dire. Dans ce jeu des regards et des silences s’instaure un dialogue non seulement entre les personnages, mais aussi entre l’écriture et le lecteur, qui découvre peu à peu un fascinant jeu d’illusions. Et la tonalité de ces dialogues se module au gré d’accents tantôt délicats, tantôt rudes et sauvages.
Desaparecidos est un roman à plusieurs voix, son intrigue évolue au rythme d’un tango, comme l’évoque la couverture et la vocation d’Esperanza. La sophistication de la construction du roman est servie par une langue simple, précise, sans concession, sans faux pas, qui traduit tour à tour la douceur, la tristesse, l’angoisse et la passion. Pour son quatrième roman Murielle Guerrero-Gillet a su créer un univers romanesque pathétique et tendre, qui suit une rythmique mélodieuse pour évoquer le destin de déshérités de l’Histoire: les desaparecidos. Envoûtant.
Dominique Grimardia
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Desaparecidos, de Murielle Guerrero-Gillet, éditions Taraxacum.