Le discours d’Emmanuel Macron à Rungis illustre bien le tempo politique qu’il souhaite mettre en place pour les réformes nécessaires à mettre en oeuvre afin de « moderniser » les pratiques industrielles conformément aux analyses présentées lors de sa campagne présidentielle. Les objectifs du gouvernement sont donc validés: de la rémunération des agriculteurs au pouvoir d’achat des Français, en passant par les entreprises de transformation et de distribution. Les objectifs ainsi présentés doivent être votés pour lors au premier semestre 2018 par le Parlement.
Bien que les pistes évoquées lors de ses meetings de campagne aient principalement ciblé une action en faveur d’une amélioration notable des revenus des agriculteurs, ce ne furent pas les seuls thèmes. La mise place s’est effectuée au gré du passage obligé par sa méthode, et le respect d’un pré-dialogue . A ce titre d’ailleurs le Président de la République remercie élus, représentants syndicaux, patronaux, et professionnels du secteur » pour que ces » États Généraux de l’alimentation, auxquels < il s’était> engagé, puissent conduire à des décisions concrètes ». Le sens de son action, tel qu’il la définit, est de » renouer avec une forme d’esprit de responsabilité partagée. ». Et d’insister sur son objectif, » l’esprit de responsabilité collective ».
Le dispositif qu’ Emmanuel Macron envisage de mettre en oeuvre n’est-il pas le reflet de son ambition en mettre fin au différentiel qui existe sur les prix alimentaires entre la France et d’autres pays dont l’Allemagne? Lorsqu’il déclare « ça n’est pas de mettre en œuvre une série d’ajustements techniques », … »mais c’est que nous puissions décider collectivement d’un changement profond de paradigmes pour construire ensemble ». Et d’ ajouter: « Nous avons les défis du prix qui touchent tous les acteurs de la chaîne ». Lorsqu’il déclare que « le vrai juste prix, celui qui permet de répercuter ces gains de productivité sur le consommateur final, évite que ne se créent des effets de rente dans une économie », il précise ainsi de façon à peine voilée que les intermédiaires seront mis à contribution. Des propos on ne peut plus explicites.
Mais le Président de la République a souhaité mettre en avant une autre priorité. « Les États généraux de l’Alimentation ont deux objectifs : le premier, permettre aux agriculteurs de vivre du juste prix payé, permettre à tous dans la chaîne de valeur de vivre dignement ; le second, permettre à chacune et chacun d’avoir accès à une alimentation saine, durable, et sûre. Et ce que je souhaite c’est que nous commencions à compter d’aujourd’hui ». L’ambition présidentielle s’oppose à nouveau aux industriels de l’alimentation. De fait, la plupart des produits transformés sont générateurs de marges confortables. Et une alimentation plus saine ne semble pas être, au vu de l’état d’esprit général de la filière des produits transformés, une préoccupation majeure.
Pour cela, le Président propose – certains diront « dictent »- ce que devront être les plans de filières qui « doivent permettre d’assurer aux Français la montée en gamme autour de labels, des signes de qualité, de la bio avec des objectifs chiffrés à cinq ans ». De plus afin de favoriser un esprit de coopération, Emmanuel Macron précise: « Comme je suis prêt à m’engager à vos côtés pour le régler, je vous demande de vous engager aux côtés du gouvernement pour régler les défis de chaque filière, et ne pas attendre que l’État les règle. Régler le problème du porc, du bœuf, du lait, ce n’est pas aller demander l’énième plan de crise le jour où ça continuera à aller mal ».
A ce titre, il évoque son engagement de campagne, à savoir que les œufs vendus aux consommateurs ne seraient plus issus que d’élevages en plein air d’ici 2022. Il fustige les réticences de la filière concernée. « Il est évident que si nous restons dans l’actuelle guerre de positions, on ne fera rien. Tous ceux qui produisent aujourd’hui des œufs considèrent qu’ il est intolérable d’aller leur expliquer qu’en 2022, on ne vendra, pour ce qui est de la vente en grande surface ou en commerce de détail, que des œufs uniquement pondus par poules élevées en plein air ».
Dans le cadre de la nouvelle politique souhaitée par le chef de l’Etat, les États généraux de l’Alimentation ciblent de nombreux objectifs. Assurément les Français souhaitent que ceux-ci aboutissent, qu’ il existe un moindre différentiel du coût de la vie entre l’Allemagne et la France, et par conséquent des prix plus bas. Ils souhaitent également une meilleure qualité de l’alimentation, l’existence d’une filière bio à même de répondre à une demande plus forte. Cela, toutefois, n’est pas sans risques. Risques liés à ceux qui ont réussi à imposer des prix plus soutenus aux marchés alimentaires français depuis des décennies, et qui ne souhaitent bien évidemment pas de modification de leurs marges. Risques de déception des Français devant des réformes qui peuvent exiger beaucoup de temps, ou pire ne pas aboutir. En cela les États généraux de l’Alimentation sont peut-être l’un des plus grands paris d’Emmanuel Macron.
Pierre Cusson