Emmanuel Macron apparaît sur les écrans disposés de toutes parts dans la salle numéro 6 du Parc des Expositions de la Porte de Versailles à Paris, ce 10 décembre. Il se fraye un chemin -semble-t-il- avec difficulté pendant de longues minutes. Un passage au centre d’une cohorte de supportrices en tee-shirt blanc et de gardes du corps, tel un boxeur montant sur le ring. La boxe semble avoir été le fil conducteur de ce meeting politique, tant par la chorégraphie que le rythme insufflé par le candidat pour la présentation de son programme. Emmanuel Macron a déjà exprimé sa volonté d’imposer le sien jusqu’à la présidentielle, et surtout de préserver son avantage. Mais, sur le ring, en cet instant, il n’y a qu’un seul combattant. Et face à ses supporteurs enthousiastes, il peut avoir une certitude: il sera le vainqueur de la soirée.
Sa harangue débute par une soigneuse critique de tout ce qui a été à l’origine de son ascension: critique des politiques, critique des primaires – fussent-elles de droite ou de gauche-, critique des politiques économiques et sociales suivies. A-t’il bien été ministre du Budget? Évocation de la longue marche qui l’a mené jusqu’à cette estrade, car le principal en cet instant c’est sa capacité à être « En marche » avec « ses compagnons de marche ». Et le candidat à l’élection présidentielle attaque le premier argument fort de son discours par ces mots: « Ce qui m’a conduit, c’est le travail (. . .) la volonté d’apprendre, de construire (…) les concours (…) le service public que je viens de quitter (…) la chance, et il en faut! ». Et d’ajouter « la famille, la confiance, votre confiance ». Le « Car c’est vous qui m’avez fait » est entrecoupé par les « Macron Président », scandés par les participants enthousiasmés de l’évocation de son parcours.
Sur le travail, des affirmations. « Ce que nous créons ce soir ensemble, mes amis, c’est un véritable droit à la mobilité professionnelle, c’est un droit qui reconnaît à tous les travailleurs du pays la possibilité de choisir, la possibilité d’être couvert contre tous les risques, la possibilité d’être protégé, si demain il y a un accident dans son secteur d’activité ». Ce travail et cette récompense, que doit accorder la société, ont toutefois déjà figuré parmi les arguments récurrents du candidat Nicolas Sarkozy à la primaire, et furent à la base de nombreuses décisions et lois lors de son quinquennat.
Évocation aussi de larges principes de gouvernance. Impulsion aux entreprises. Pérennisation des mesures prises. 6% d’abattement supplémentaires. Mais là encore pas d’explications, ni date, ni modalités de mise en oeuvre. Aucune remise en cause des petits remboursements de la Sécurité Sociale. La seule mesure réellement expliquée est celle destinée à « réduire l’écart entre le salaire brut et le salaire réel ». Il aborde alors le sujet de l’augmentation du salaire net des Français, et déclare « Qu’un couple de travailleurs qui touche aujourd’hui le SMIC aura, après cette transformation, 500 euros nets par an de pouvoir d’achat en plus ». C’est un programme vaste. L’ambition pourtant semble être dans les mots, non dans les faits, car dans un premier temps l’imposition générale est augmentée avec une CSG en progression de 1,7%. Et, en l’absence de chiffrage officiel par le candidat, l’augmentation, selon nos calculs, * serait d’environ 16,50 euros par mois, soit 198 euros pour un personne seule, et 396 euros pour un couple, ce qui est utile, mais éloigné des 500 euros annoncés et peut-être pas de nature à justifier les répétitifs et enthousiastes « Macron Président ».
Tout cela est très proche des propositions de François Fillon, qui souhaite supprimer la cotisation santé de la fiche de paye des salariés. Emmanuel Macron reprend aussi des éléments du programme d’Arnaud Montebourg quand il déclare: « Comment protéger nos travailleurs, nos entreprises, face à la concurrence déloyale des Chinois ou des Indiens ? Dans les pneus ou dans l’acier. Par l’Europe, mes amis! ». Mais à la différence de la politique volontariste affichée par Arnaud Montebourg qui veut même intervenir au niveau français, si nécessité lui en fait obligation par inertie de l’Europe, le Président d' »En marche » n’envisage pas d’action réellement volontariste.
Pour le social, la formulation est vigoureuse lorsqu’il déclare: « Alors ce que nous allons créer pour chaque Français, c’est ce nouveau service public de la formation et de l’activité ». C’est, d’après lui, ce qui, « en réformant Pôle emploi et notre système de Formation Continue, permettra de donner une place à chacun. Une vraie place. La place que je veux! ». Des propositions vagues et imprécises, en outre déjà développées lors la primaire des Républicains. Avec l’affirmation « Parce que la bataille de notre système de santé, c’est la prévention. Parce que si la France est performante, c’est en matière de soins. Si elle est défaillante, c’est en matière de santé », une volonté apparaît, mais il est difficile de connaître les intentions du candidat Macron sur la baisse des dotations au système hospitalier, qui est paradoxalement mise en oeuvre dans un pays en forte croissance démographique.
Emmanuel Macron envisage globalement un concept de trois boucliers: un bouclier sécurité, un bouclier social-actif et un bouclier européen. A l’appui, une série de mesures annoncées, beaucoup d’évocations, de concepts littéraires. Mais même si de nombreuses acclamations et applaudissements nourris accompagnent chacune de ses déclarations, celles-ci restent elles aussi imprécises, ni chiffrées, ni détaillées. Cela est en effet pour plus tard. Emmanuel Macron tient par ailleurs à réaffirmer son soutien à la fonction publique, augmenter les effectifs de police et gendarmerie de 10 000 fonctionnaires, et souhaite que les administrations orientent plus qu’elles ne contrôlent.
Là encore se retrouve une forte correspondance avec les propositions de François Fillon qui projette la création de postes dans les police et gendarmerie. Et comme François Fillon, Emmanuel Macron est attentif à l’actualité mondiale: celui-ci évoque Alep, quand celui-là est attentif aux chrétiens d’Orient.
Emmanuel Macron souhaite être perçu comme le sauveur, celui qui a eu le courage de démissionner d’un poste de ministre d’État. En filigrane Macron pose un axiome: sa formidable modernité qu’il évoquera beaucoup et fort longtemps. Son discours-fleuve dure plus d’une heure quarante, à tel point que, dix minutes avant la fin, de petits groupes quittent la salle en passant devant le curieux et inconfortable espace-presse installé à l’écart, très loin de la zone centrale. L’emplacement avait peut-être été choisi pour donner plus de recul à la presse qui avait dû , pour y parvenir, subir trois contrôles de carte de presse en quelques mètres.
La stratégie d’Emmanuel Macron est une stratégie que l’on pourrait qualifier de « stealth programme », un programme furtif dont les chiffres et mesures sont dissimulés. S’agit-il de l’expression de sa modernité? L’électorat peut-il adhérer à un tel concept? A l’opposé de cette tactique, les partis politiques, conscients de la demande de transparence des citoyens, ont mis en place des primaires avec une volonté d’engagements clairs, et de propositions étayées. Emmanuel Macron envisage-t’il de tester ses concepts pour les affiner par la suite? Vraisemblablement, mais point de modernité dans une telle démarche!
La clôture du meeting n’est pas de nature à lever les ambiguïtés. Emmanuel Macron choisit de marquer les esprits et déclare à ses sympathisants: « Ce projet, je le porterai jusqu’au bout mais, maintenant, votre responsabilité c’est d’aller partout en France pour le porter et pour gagner « , car « ce que je veux, c’est que vous, partout , vous alliez le faire gagner, parce que c’est notre projet. » Un projet d’être Président certainement. Pour le reste, il faut attendre jusqu’à fin février, quand son programme sera enfin communiqué et permettra de confronter sa faisabilité et sa modernité à celui de ses compétiteurs.
De fait le meeting d' »En marche! » paraît comme celui d’un candidat à la présidentielle, et non comme celui d’une primaire. Enfin, après avoir tant attendu, Emmanuel Macron, aborde le point que nous attendions tous: son programme qu’il annonce, et dont, en préliminaire, il lui importe, à lui, le candidat à l’élection présidentielle, de préciser que « le projet en est cohérent » (. . .), qu’il n’est pas une série de mesures »(.. .), que »c’est un projet qui se tient »(..) et « que nous porterons jusqu’au bout ». Lors de ce meeting le candidat est plutôt dans un long round d’observation. Il évoque, tance, analyse, et réserve son direct du droit pour plus tard, car, pour l’heure, Emmanuel Macron teste son auditoire.
Jean Cousin
*(chômage (2,40%) et maladie (0,75%), augmentation CSG de 1,7%, soit un solde positif de 1,45 % du salaire minimum net soit sur une base 1143,72 euros.