News, Politique 21/04/2017

Emmanuel Maurel: Mythe et réalité fiscale des multinationales en Europe

by Rédaction

Alors que nous sommes à la veille du premier tour des élections présidentielles, il est utile de connaître l’avis d’Emmanuel Maurel, Député Européen, membre de la Pana* (Commission d’enquête européenne) et responsable thématique Commerce International dans l’organigramme de campagne de Benoît Hamon, sur certaines pratiques de multinationales.
Car, il est prévu dans  le programme de Benoît Hamon sur l’Europe, l’organisation  d’une nouvelle gouvernance de celle-ci.
En effet, lors de la réunion du 17 mars du G20 , à Baden Baden, le Secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurría, et le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, ont présenté en conférence de presse l’édition 2017 de la publication « Objectif Croissance » édité par l’OCDE, sous le titre  « Un programme d’action pour une croissance qui profit à tous « .

Catherine L. Mann, Chef économiste, à l’OCDE, écrit dans l’éditorial de cette publication qu’ « Au-delà des mesures directes de soutien public, une plus grande ouverture internationale reste un moteur puissant de la diffusion rapide de l’innovation et de la productivité. Cela vaut aussi bien pour la diffusion de technologies grâce aux échanges de biens et à la participation aux chaînes de valeur mondiales que pour la propagation d’un savoir-faire entrepreneurial et de pratiques managériales exemplaires par le biais de l’investissement étranger et de la présence d’entreprises multinationales « .

Nous pouvons donc alors légitiment nous interroger sur ce qui relie  » la présence d’entreprises multinationales » et  « un programme d’action pour une croissance qui profite à tous « . Car introduire les multinationales avec la notion de croissance partagée peut paraître contradictoire, au vu de l’originalité de certaines pratiques fiscales au sein de l’Europe. C’est une source inépuisable de découvertes et de mises en lumière de traitements fondamentalement différents entre des entreprises nationales et des multi-nationales, qui, à terme, peuvent nuire à une croissance vigoureuse de l’Europe.

La problématique des traitements fiscaux dans certains pays de l’Europe ne sont-il pas de nature à créer des distorsions de traitement fiscaux intolérables, et à terme nuire à l’image de l’Europe auprès des électeurs ?

On a auditionné Mac Do dans le cadre de la Commission-Taxe du Parlement Européen, d’abord parce que McDo a des pratiques très bizarres. Ils affirment à la fois créer des emplois, faire des profits colossaux, et en même temps nous nous sommes rendu compte de quelque chose de bizarre: la quasi-totalité de leurs franchises est déficitaire. Nous sommes arrivés à démontrer au Parlement Européen que c’est un déficit artificiellement construit pour échapper à l’impôt d’abord, et concentrer ensuite les profits notamment au Lichenstein où il n’y a pas de magasins Mac Do, mais une fiscalité  évidemment très bienveillante.  Nous nous sommes également rendu compte d’un autre fait – et cela, ce sont les syndicats des salariés américains qui nous en ont parlé. De fait Mac Do est censé intéresser les salariés liés aux bénéfices. Or en organisant artificiellement le déficit de ces franchises, Mac Do  s’exonère de l’augmentation des salaires des travailleurs précaires. C’est à la fois un système d’optimisation fiscale, et aussi simultanément un système de modération salariale, alors que c’est une boîte qui réalise des profits colossaux. Lorsque nous avons mis à jour cette stratégie de MacDo, leur seule réponse fut de dire:  » Nous, nous créons des emplois en Europe, donc laissez-nous tranquilles, sinon de toute façon nous fermerons des structures ».

Cela suit une certaine logique, mais on peut très bien remplacer les Mac Do par des restaurants locaux qui fassent front à une structure internationale qui annihile tout dialogue social, nie toute augmentation salariale et optimise totalement le temps de présence de ses employés. Ce qui favorise MacDo, c’est aussi la demande de toute une population assez jeune qui a envie d’aller dans cette restauration rapide.

L’action du politique serait plutôt – et c’est un travail très lent-  de changer  nos modes de consommation alimentaire. Des travaux ont été réalisés sur ce sujet dans des pays comme la France. Il existe des politiques pour initier les gens, dont les  jeunes, au goût.  Il y a notamment ce mythe, car il s’agit vraiment d’une pure opération de communication, mais qui marche bien, ce mythe comme quoi ce type de restaurant prend moins cher qu’un restaurant traditionnel. En réalité ce n’est pas totalement vrai. Mais c’est la force de la publicité, ce n’est pas à vous que je vais apprendre que le capitalisme sauvage est fondé essentiellement sur la communication et sur la pub.

Ce qui est clair, en tout cas, c’est qu’une entreprise multinationale ne respecte pas les règles, cherche à tout prix à maximaliser son taux de profit, quitte à marcher sur la gueule de ses employés.  Ce qui de plus est en même temps intéressant c’est qu’il y a un combat international qui est en train de se mener, un combat qui vient d’Amérique. Les syndicats américains sont fortement mobilisés et forçent Mac Do à une esquisse de discussion. Il  faudrait la même chose en Europe.

De plus il y a de nombreuses sociétés qui ne jouent pas le jeu de la fiscalité juste. Il y a quand même une situation totalement abracadabrantesque en Europe où les grosses boîtes paient en moyenne dix fois moins d’impôts sur les sociétés que les PME classiques. Les très grandes entreprises bien sûr, d’abord au prétexte qu’elles ont recours aux cabinets d’audit qui leur donnent des avis pour optimiser leur fiscalité. Certaines ont totalement recours aux paradis fiscaux.
C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de nous diriger vers un système que l’on appelle « country by country reporting », c’est-à-dire l’obligation pour les entreprises internationales de déclarer pays par pays à la fois le nombre de salariés, le profit qu’elles réalisent, les chiffres d’affaires.
Deuxième étape – et cela avance-,  bien que cela bloque sur un certain nombre de pays: c’est l’assiette commune d’impôts consolidée de l’impôt sur les sociétés, c’est-à-dire que l’on calcule l’impôt consolidé de la même façon  pour tous les pays.
Enfin l’horizon ultime, pour moi en tout cas, le combat que je mène, c’est d’arriver à un taux minimum d’impôt sur les sociétés, de façon à ce qu’il y ait un minima d’impôts payé. Il serait ainsi impossible pour un certain nombre de pays (comme l’Irlande) de gérer au maximum le dumping fiscal. Il ne serait alors plus possible de baisser l’impôt sur les sociétés à ce point. Il y a une harmonisation du taux de TVA, c’est plus ou moins réussi- on peut dire beaucoup de choses-,  mais il y a une forme d’équilibre général au niveau européen. Ce n’est pas du tout le cas  pour les impôts sur les sociétés. Cela crée une situation de concurrence insupportable et les petites entreprises, comme les citoyens, se disent « Nous, on paye plein pot les impôts, et les gros qui font des profits colossaux, ils échappent quasi totalement ». Cette situation nuit considérablement à l’image de l’institution de l’Union européenne. Il y a vraiment là un chantier important.

Il avait, il y a une vingtaine d’années,  une marque française qui s’appelait Quick. Pourquoi n’y aurait-il pas de chaîne de restauration européennes?

Là, c’est encore une fois plus qu’une question de marché, et là je ne suis pas spécialiste de ce qui a disparu aujourd’hui des chaînes de restauration rapide, qui restent essentiellement américaines, Buger King, Mac do. Ce qui est sûr c’est qu’il faut une volonté politique pour sensibiliser les consommateurs, mais aussi une volonté politique de faire pour obliger ces entreprises de payer les impôts qu’ils doivent et accessoirement de payer dignement leurs salariés. C’est un combat très important qui concerne toute la gauche.

Là se situe la problématique de Quick qui a dû subir un désavantage concurrentiel, face  des concurrents qui ne payaient pas d’impôts, ou ne subissaient pas la pression fiscale, obtenaient de meilleurs résultats financiers, pouvaient obtenir des fonds, et mettre un taux de rentabilité dû en grande partie à une évasion fiscale, et non à  une gestion de qualité supérieure selon le mythe anglo-saxon. Ne pourrait-on imposer chaque restaurant de manière indépendante au motif que chacun d’eux réalise un recel d’évasion fiscale en versant des royalties disproportionnées par rapport à la moyenne française et européenne?

C’est tout l’intérêt de « country by country », car Mac Do a mis au point un système où chaque restaurant est juridiquement  autonome – ce que l’on appelle la franchise-, verse des loyers colossaux bien supérieurs à ceux en vigueur sur le marché traditionnel, et une redevance à la maison-mère. Mac Do organise donc, comme je vous l’indiquais tout à l’heure, une situation financière fragile alors qu’il fait des profits très importants. C’est tout cela qu’il faut démonter, dénoncer. Ce n’est pas facile, car nous avons une entreprise extrêmement bien conseillée, qui n’hésite pas à avancer que l’emploi créé serait supprimé.  Je l’ai d’ailleurs dit à la représentante de Mac Do que leur entreprise est très florissante en France et en Europe.  Il faut donc mettre en place un rapport de force, il faut le poser, l’imposer, ne pas l’esquiver.

Et Facebook? Et Apple?

Pour Apple, vous avez vu que la Commission Européenne réclame plus de dix milliards d’euros, un chiffre colossal d ‘impôts non payés depuis son installation en Irlande. C’est à suivre, mais cela va être long.

Que pensez-vous de la position de l’Irlande qui est contributrice négative au sein de l’Europe et qui dans le même temps accorde à certaines multinationales des conditions d’imposition réelle de l’ordre de 0,05% ?

L’Irlande est un cas très intéressant, car ce pays proclame depuis quelques années qu’il a une croissance très importante de l’ordre de 4 à 5%. En réalité c’est une croissance totalement artificielle, parce que cela ne correspond pas à l’économie réelle. C’est essentiellement financier. L’Irlande a joué à fond, ce que l’on appelle le  » « dumping fiscal » , afin d’attirer un certain nombre d’entreprises en leur promettant en échange une fiscalité quasi nulle. Le problème du « dumping fiscal », hormis que l’Irlande ne va pas mieux, nuit complètement à l’idée que l’on pouvait se faire de l’Europe, c’est-à-dire un espace de coopération et de solidarité. Et l’on aboutit à une chose très préoccupante: c’est que les gens tournent le dos à la création européenne puisqu’il ont l’impression que le projet européen était celui de la solidarité, que l’on se retrouve avec du dumping social et fiscal, et pas de résultats économiques, notamment pour le chômage de masse. Concrètement on peut dire, tant pour l’Irlande que le Luxembourg, qu’ils ont accaparé la richesse qui revenait à d’autres pays européens. C’est donc cet esprit de solidarité qui est rompu. La France et l’Allemagne ont été les premiers à dénoncer ce genre de situation, qui entraîne un manque à gagner considérable. Je pense que les Eurodéputés ont conscience de cette situation, essayent d’y remédier. La commission nous aide un peu, il faut le reconnaître, notamment Pierre Moscovici. En revanche il y a un très gros blocage au sein du Conseil des Chefs d’États et de Gouvernements, puisque vous avez des pays qui souhaitent ne pas changer ces pratiques.

*Pana:Commission d’enquête chargée d’examiner les allégations d’infraction et de mauvaise administration dans l’application du droit de l’Union en matière de blanchiment de capitaux, d’évasion fiscale et de fraude fiscale

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