Quand un gardien de la paix peuple les cimaises, ce sont de fantastiques Démons & Merveilles. Aujourd’hui les artistes comme Josep Baqué peuvent être appelés singuliers. A d’autres époques encore, il fut question d’ art brut, de mouvance post-art brut, ou encore d’art en marge, d’ art cru, de création franche, ou même d’ art hors-les-normes.
Quel que soit le terme employé pour les désigner, tous ces artistes ont en commun un parcours en dehors de la formation artistique traditionnelle. Ce sont des créateurs autodidactes en-deçà du cérémonial de l’art dit officiel. Le Musée art ) & ( marges se consacre à ces créateurs particuliers et, aujourd’hui, propose de découvrir Josep Baqué .
Josep Baqué s’inscrit parmi les premiers artistes de cette mouvance. Il naquit le 12 décembre 1895 à Barcelone, soit 15 ans avant Gaston Chaissac, et 6 ans avant Georges Dubuffet auquel nous devons l’expression « art brut ». Après avoir voyagé dans plusieurs pays d’Europe afin d’y gagner sa vie avec de petits boulots, notamment en France et en Allemagne, ce barcelonais revint définitivement en1928 dans sa ville natale pour y occuper un modeste emploi de gardien de la paix. Celui qui serait aujourd’hui un policier municipal poursuivit sa carrière en refusant tout grade ou promotion. Mais pendant quarante ans il consacra tous ses loisirs à la création d’ un merveilleux bestiaire.
Enfant, il recevait d’un oncle employé dans une société d’estampage de textiles des magazines. Ce fut, selon la tradition, sa seule formation, et c’est ainsi qu’il découvrit les arts décoratifs et la naïveté d’une certaine imagerie populaire. Pour son travail il choisit comme support des feuilles de dessin blanches de 36 X 16 cm qu’il divise généralement en trois panneaux d’un trait de crayon à la règle. A gauche une marge verticale en haut de laquelle est reporté méticuleusement un numéro d’ordre. En bas de la page, toujours au crayon un cartouche est délimité, socle resté vide pour chacune des 1500 créatures qu’il classa en huit espèces: « Animaux et bêtes sauvages, » Hommes primitifs », » Chauves-souris et insectes », « Araignées géantes », » Serpents », » Escargots, poulpes, seiches et mollusques », » Animaux à plumes » et » Poissons divers ».
1500 créatures hybrides, uniques, révèlent la formidable imagination de cet homme qui combine à l’envi des détails élémentaires et construit un bestiaire sans cesse renouvelé. Le Musée art ) & ( marges livre au public 150 de ces monstres de papier, d’encre, d’aquarelle et de gouache, Toutes les créatures de ces espèces diffèrent les unes des autres. Les formes se combinent pour en 
générer de nouvelles. D’un panneau à l’autre la créature subit une telle métamorphose que ce sont d’autres monstres qui s’imposent. Mais le jeu créatif se porte aussi sur les couleurs. Tantôt le trait de plume les enserre, tantôt la couleur lui échappe et des écailles vermillon achèvent l’anneau caudal d’un serpent coloré d’ ocelles jaune cadmium, bleu cobalt et violine.
Les métamorphoses s’enchainent et livrent un ballet de traits, de nuances, de lignes, de formes toujours renouvelés. L’oeil passe de l’un à l’autre, envouté par la magie de ces créatures hybrides, monstrueuses mais jamais angoissantes. C’ est la danse des araignées, bleue, marron et orangé. C’ est le défilé des fauves munis de mille tentacules, de pattes palmées, ou campés sur de fines échasses d’insectes. Un travail minutieux a créé un univers de fantaisie. Et, bien que limitée à ces modestes rectangles, l’ imagination est sans limite.
Présentée au rez-de chaussée du musée, avant de partir pour Lausanne, cette exposition des Démons & Merveilles de Josep Baqué entre en résonance avec d’autres artistes, eux aussi outsiders de l’art, mais contemporains, comme Vincent Hayon, Karel Laenen, Danièle Caron. Serge Delaunay,, Carine Lacroix, Albert Mouhadeb, René Perrot, Antoine Roegiers et Jean-Michel Wuilbeaux. Et cette mise en scène dynamique révèle des artistes et des oeuvres inclassables d’où émane un formidable sens de la liberté.
Dominique Grimardia
Démons & Merveilles, Musée art ) & ( marges, rue Haute 312-314, Bruxelles, du 7 février au I er juin 2014.
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