Fukumi Shimura, l’artiste qui tisse les couleurs.

by Rédaction

Au commencement il y a la nature qui abrite le ver et  son cocon soyeux. Il y a la nature où poussent l’indigo et le sukumo, le shikishima, le kusagi, le soyogo et le kariyasu. Il y a le rythme des saisons. Au commencement il y a le rituel de la cueillette, la recherche de la couleur, le travail du fil. A une époque où les artistes pratiquent souvent la seule utilisation de médians et  supports industriels, la création de Fukumi Shimura   emmène le spectateur dans univers de réalisation totale.

Pour ce faire Fukumi Shimura a élaboré tout un process créatif dédié à la couleur, une couleur qu’elle crée en l’extrayant des végétaux. Or les couleurs végétales doivent devenir plus que de simples couleurs. Il s’agit donc d’exploiter la nature pour que les couleurs ne perdent pas leur vivacité première. De là une cérémonie en quelque sorte de la cueillette selon un calendrier lunaire afin que les plantes offrent les couleurs de la vie et, qu’au contact de la mort, même si la plante est arrachée à sa terre, la vie de la couleur gagne en éclat.

L’enjeu est de produire un fil qui vibre au rythme de la nature, et traduise aussi l’émotion née à son contact.La plante donne alors mille nuances, qui deviennent  motifs sur le métier à tisser. Ainsi l’indigo donne t-il le bleu le plus foncé comme le plus pâle, à la limite de la transparence. La cartame produit aussi bien le rouge « coq de roche » que le beige. L’ if du Japon dévoile la rouille d’un marron chaud pour s’évanouir dans le feutré d’un gris souris. La richesse de l’or naît du banal oignon, et le gardénia livre l’éclat solaire du jaune, tandis que le kariyasu module le vert anisé en or vieilli. Et lorsque  Fukumi Shimura analyse avec  poésie que « ies couleurs sont les actes et les souffrances de la lumière »,  revit l’esthétique japonaise  de la couleur, transmise depuis l’époque du Man.yôshû puis à l’époque d’Edo, E le coloris agit alors comme le vecteur d’une culture empreinte d’une infinie spiritualité.

Mais le travail de Fukumi Shimura n’est ni imitation, ni répétition de modèles anciens. Il allie le raffinement du kimono au sobre pongé de soie des paysannes japonaises, le tsumugi. Chaque tissu transcrit un moment de contemplation, transcende un espace-temps privilégié autant que de l’immédiateté de la perception. Une fois tissée, traduite, cette perception demeure pour l’éternité. Ici le fil évoque la plaine d’Ômi, ailleurs le lac Biwa au gré des subtils changements des saisons. L’ oeuvre est pétrie de littérature, le Dit du Genji, le romancier Iguchi Ichiyo, des poèmes de l’empereur Oo-Toba ou le conte de Daizô et l’oie sauvage, le visage de Rimbaud. Mais le texte, l’extrait ne génère pas ni anecdote, ni discours. Il est générateur d’une sensation qui est interprétée seulement par le choix du fil, son passage dans les dents du peigne, le lissage par la navette, le croisement de la chaine et de la trame. Au spectateur à son tour d’être saisi par l’immédiateté d’une perception. Le reflet d’un fil de soie suzushi, directement issu du cocon, traduit peut-être la menace du magma capable de surgir de la terre à tout moment, mais  fonctionne également comme ces brefs poèmes, les haïkus, où l’idée naît du télescopage d’images à peine évoquées.

Le rectangle de la bannière, ou la  géométrie d’un kimono est devenu un prétexte, un espace circonscrit dont les limites servent le paradoxe d’une création qui travaille au-delà du mot, peut-être en-deçà. En travaillant les gammes de la couleur sur un ténu fil de soie, Fukumi Shimura livre les étapes d’une création unique qui associe le travail de l’artisan et de l’artiste.Cette artiste, élevée au rang de Trésor national vivant depuis 1990, résume ainsi son travail:  » Autrefois je pensais qu’il fallait consacrer dix ans à une couleur, aujourd’hui je pense qu’il faut une vie. Je ne peux que chercher à atteindre les couleurs, je ne peux que m’en imprégner profondément. Ensuite je dois les éloigner de moi, je crois que ce sera ma tâche désormais. » Et cette quête de l’harmonie est poursuivie depuis 1981 avec sa fille, Yôko.

Dominique Grimardia

Copyright Forks 2014

Tisser les couleurs, jusqu’au 17 janvier 2015, Maison de la culture du Japon à Paris, 10bis quai Branly 75015 Paris

 

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