Dans l’histoire millénaire des mots l’ « empathie » est un nouveau-né. Apparue au 20ème siècle, le nom « empathie » est composé, à l’image du très ancien » sympathie » , du préfixe em- » dedans » et du radical -pathie, venu de pathos, » ce qu’on éprouve ». Cette création est d’origine anglaise: c’est en anglais que le mot « empathie » est attesté dès 1904, pour traduire l’allemand Einfühlung, terme employé par T. Lipps, le créateur de ce concept en psychologie (1903). Mais c’est en 1996 qu’un neurologue italien Giacomo Rizzolatti a porté le mot vers son destin. Ce terme du vocabulaire de la psychologie et de la philosophie désigne la capacité de s’identifier à autrui, de ressentir ce qu’il ressent, et aujourd’hui il est à lui seul l’emblème d’une véritable révolution.
L’empathie: un concept révolutionnaire
C’est effectivement en 1996 qu’un neurologue italien Giacomo Rizzolatti découvrit les neurones miroirs. et mit en évidence à travers une série d’expériences, notamment à travers des analyses transversales entre les primates et les hommes, qu’il y avait dans le cerveau une catégorie de neurones qui s’activent de façon mimétique à la vue des autres personnes, comme si un individu entrait en résonance avec d’autres, comme si les émotions, les comportements devenaient les nôtres. Cette découverte permit de développer de nouvelles théories autant en neurologie qu’en philosophie ou en sciences sociales. Cette théorie infirme en effet la fameuse théorie de la survie des espèces selon laquelle c’est la loi du plus fort qui en permettrait la survie. Il renverse le dialogue et démontre que c’est au contraire la sociabilité qui crée un moteur d’évolution, voilà donc ce qu’est l’empathie. On sait aujourd’hui que c’est une dynamique très importante dans le développement de l’intelligence des enfants qui de fait se développent au contact des autres et, à travers les émotions et les comportements d’ autrui, commencent eux aussi à s’identifier et à se développer en tant que personne à part entière.
Cette inversion radicale du paradigme, dès lors que l’homme n’est plus « un loup pour l’homme ( homo homini lupus), permet de repenser les relations aux autres et de comprendre la remise en question actuelle de nombreux comportements économiques et sociaux. Ce concept apparaît renforcé à l’épreuve des mutations sociétales et des tragédies environnementales qui marquent ce millénaire, car cette notion d’empathie s’associe à une volonté de repenser les relations aux autres, aux nouvelles technologies. C’est une quête d’harmonie, le souci de préserver l’environnement, de réconcilier nature et technologie qui, après Fukushima, s’est avérée une priorité.
Emma Fric, sociologue et directrice Recherche et Prospective de PeclersParis , a analysé cette notion dans la sphère du luxe lors d’une conférence intitulée FUTUR(S) du luxe ». Le luxe peut-il être engagé, sensible, convivial et collaboratif? Le monde de la mode, fer de lance de la création et vitrine du luxe, a en effet souvent proposé dans sa communication une vision fantasmée de la femme et celle d’un monde rarement emphatique. Aujourd’hui cette présentation sublimée, retouchée, « photoshopée » à outrance est remise en cause par les médias autant que par le public. Ce sont d’autres approches en phase avec une quête de la valorisation de soi, coeur de la révolution emphatique, loin des diktats d’icônes interchangeables. Comme Gilles Lipovetsky, elle constate que les codes du luxe sont en pleine mutation. Le défilé au supermarché de Chanel ou la collection développement durable « petit H » d’Hermès signifieraient l’amorce d’une évolution. La voie du « slow luxe » semble ouvrir la voie à l’avènement d’un luxe équitable, plus respectueux de l’environnement. Au coeur de la révolution emphatique c’est la recherche de la préservation des patrimoines culturels et ancestraux qui témoigneraient de la capacité d’ouverture des maisons de luxe à l’autre.
L’empathie: un nouvel art de vivre
S’appuyant sur la volonté de repenser la relation aux autres, aux nouvelles technologies, l’empathie apparaît comme un éloge des sentiments qui permettent d’établir des rapports sociaux pérennes, pratiquer la sollicitude parce que l’on a conscience de la misère et de la solitude. La vie d’Adèle par exemple révèle comment l’amour transforme. L’enjeu est d’en donner une célébration sincère et spontanée. Dans ce contexte l’important est de prendre le contre-pied de toute source d’angoisse et de communiquer vers l’extérieur, ce qui apparaît dans le slogan adopté par Coca-Cola: » Coca opens happiness » ou bien dans les clips de Colin Farrell qui célèbrent des valeurs positives.
De nouvelles relations sociales et économiques s’instaurent selon le principe du » doing good, sharing good », fondées sur la confiance et la transparence, avec une prédilection pour les démarches caritatives, en se remémorant – ce qui fut évoqué au sommet de Davos- que les inégalités sont le facteur prépondérant d’instabilité. de là l’éloge du métissage, la célébration de modèles appartenant à des horizons différents, l’Afrique, l’Orient chez Givenchy ou Louis Vuitton. La vision se veut internationale, avec complexité. Dans ces conditions les marques doivent être responsables dans leur relation avec la Nature. De là aussi le développement d’économies alternatives.
Dans cette ré-humanisation du monde, l’estime de soi est elle-même re-visitée. La beauté n’est plus inaccessible, les standards sont redéfinis de telle sorte que c’est un corps qui est le sien, non le simulacre d’une image irréelle, qui est revendiqué selon les slogans: « Redefine Beauty » ou « The power is in your Hands ». Cette philosophie est mise en action avec le phénomène « selfie » qui promeut autant l’amour de soi sans artifice que l’importance du lien humain et du partage à partir de l’originalité du regard de l’autre.
Cultiver l’empathie: une mission complexe
Pratiquer l’empathie s’avère donc une tâche complexe: il s’agit de renouer avec les beaux sentiments, se reconnaître en la nature, promouvoir l’objet émotionnel, libérer l’estime de soi, matérialiser la convivialité et s’enrichir par l’altérité. En quelque sorte c’est une véritable révolution des relations au monde. Dès lors le Luxe qui s’appuie sur une relation Donnant/Donnant semble s’opposer à une telle philosophie. Et des évènements ponctuels, un détail de mode, l’apparition d’une broderie ethnique au détour d’un défilé suffisent-ils à considérer que la » Révolution Emphatique » a touché la Planète-Mode et sa Galaxie-Luxe? Pour reprendre une analyse de Gilles Lipovetsky dans Le Bonheur Paradoxal, s’interrogeant sur l’hyper-consommation, l’empathie ne prolonge-t’elle pas des interrogations philosophiques sur la société post-moderne, une société qui pratiquerait une « alter-consommation », avec « la conscience d’un bonheur fragile ». Dominique Grimardia Copyright Forks 2014.