Enfin un documentaire qui s’écarte des conventions en la matière. Pulp ne reproduit pas les stéréotypes usuels sur les groupes de musique. Le film est structuré sur une double ellipse structurelle. Il effectue un retour aux sources puisque le groupe Pulp, initialement Arabicus Pulp, est né à Sheffield en 1978, de même que Jarvis Cocker son chanteur. Et il marque un aboutissement, car le groupe Pulp se reconstitua en 2010 pour une tournée européenne, qui se termina justement à « domicile ».
Les deux histoires, celle du groupe et celle de son fondateur sont effectivement liées à la ville de Sheffield. Le réalisateur, Florian Habicht, a habilement relié l’ensemble des destinées: celles des membres du groupe Pulp et celle des habitants de la ville. Tous se trouvent réunis au sein d’un même temps fort, celui du dernier concert de la tournée européenne de Pulp. Histoires personnelles et aventures du groupe se mêlent. Jarvis Cocker y confie par exemple qu’il avait, dans sa jeunesse, un emploi chez le poissonnier des halles de la ville, et que justement, en termes de séduction, pour aller au pub le vendredi soir, ce n’était pas le top. D’autant plus que, pour enlever la tenace odeur du poisson, Jarvis trempait ses mains dans de l’ammoniac. Par d’habiles confidences Florian Habicht a su intégrer les habitants de Sheffield.
Les portraits ainsi esquissés permettent aussi d’avoir aussi une vision de cette ville en déclin permanent depuis les années soixante-dix, mais qui fut surnommée au temps de son passé étincelant « The Steel City ».
Des parallèles s’esquissent tout au long du documentaire. Et tout comme la ville regagne l’oubli, après une époque de croissance glorieuse, par les témoignages des membres du groupe de Jarvis, nous découvrons qu’après avoir connu en 1995 le succès avec « Common Poeple, ils sont retournés après la dissolution du groupe en 2001 à une vie anonyme, identique à celle des autres habitants de Sheffield.Cela leur permet d’ailleurs de rétrospectivement considérer avec philosophie que la vie au sein du groupe fut réellement la meilleure période de leur vie. Le documentaire fourmille d’anecdotes, il y figure même le surréaliste témoignage d’un habitant de Sheffield, au physique plus que féminin, qui, de retour de Londres, file le parfait amour avec sa « girl-friend » qu’il a séduite par son goût pour les « Serial Killers ».
Entre autres confidences, Jarvis Cocker nous fait part de la « Loose Total » du dernier concert donné à Sheffield, il y a une une vingtaine d’années. Le dernier concert de Pulp à Sheffield, le 8 décembre 2012, à l’issue de leur tournée européenne fut donc l’occasion pour le groupe Pulp d’atteindre les sommets. Et c’est donc lors de cette ultime représentation du groupe, après sa refondation scénique, que Jarvis Cocker confia à son public: “Certaines de ces chansons ont été écrites ici, mais si Common People est inspirée de quelque chose qui s’est déroulé à Londres, elle n’aurait pas pu être écrite si nous n’avions pas grandi à Sheffield”.
Florian Habicht, le réalisateur du documentaire nous a accordé un interview sur l’élaboration et le tournage de son film:
Jean Cousin: pour quelle raison avez-vous choisi comme sujet le groupe Pulp ?
Florian Habicht : Je vis en Nouvelle-Zélande. Je voulais faire un documentaire sur «Pulp», une firme qui apparaît sur l’étiquette des oranges et des kiwis. Mais il y avait déjà un documentaire à ce sujet. En réalité, un assez grand nombre d’ailleurs… Quand j’ai googlé ‘Pulp’ j’ai découvert qu’ il y avait aussi un groupe avec le même nom. J’ai regardé le clip do ‘This Is Hardcore » par le groupe Pulp, et nous sommes ici aujourd’hui.
Pourquoi avez-vous choisi de faire un cinéma documentaire plutôt qu’un doumentaire-télévision?
Le film est plutôt la narration d’une expérience de Pulp et Sheffield, qu’un film biographique conventionnel sur un groupe. Nous avons filmé et masteurisé le son du concert pour faire sentir comment il est réellement, comme lorsque vous regardez dans un cinéma. Comme pour un concert, l’expérience du film vu en commun est beaucoup plus amusante.
Le tournage a-t’il été rapide ou beaucoup plus long?
Il doit y avoir eu six semaines de tournage, et nous éditions les prises de vues (footage) en même temps, de sorte que le film pouvait évoluer organiquement, et de se créer à partir de lui-même. C’était un rough cut. Mais pour réaliser la totalité du film il m’a fallu un an.
Avez-vous eu une grande ou une très petite équipe de tournage pour le film?
Pour le tournage du concert, nous étions une équipe de vingt personnes. Pour le reste du tournage, ce fut une équipe beaucoup plus restreinte. La plus petite équipe que nous ayons eue sur une journée était juste composée de Jarvis et moi-même, chez lui. C’était pour l’une des principales interviews. Je voulais pouvoir capturer quelque chose d’intime.
Combien de temps pour obtenir l’approbation de Jarvis Cocker ?
Jarvis a participé à la création et au suivi du film. Il nous a donné beaucoup de commentaires utiles. Lorsque celui-ci a été terminé, tout le groupe a approuvé le film en moins d’une semaine.
Pourquoi un délai de deux ans pour présenter le film au public ?
Nous avons mis le film dans une bouteille, et de le jeter dans l’océan …Le film a fait le tour du monde. Il a d’abord été présenté au SXSW en mars de l’année dernière. C’est maintenant qu’ il est diffusé en France et en Espagne.
Au final quelle est l’idée directrice du film? Un état des lieux du groupe Pulp? De la ville de Sheffield? Ou de Jarvis Cocker ?
Je souhaitais capter ce que ressentaient les fans et les gens de Sheffield autant que ce que ressentait Jarvis et le reste du groupe. Alors j’espère qu’il existe un équilibre égal entre Sheffield et le groupe Pulp. Le film n’a pas pour objectif de faire un compte-rendu sur le groupe Pulp. Pour cela vous pouvez aller sur Wikipedia et obtenir toutes ces informations. Non, nous voulions créer quelque chose de différent. Different Class! (La classe et l’originalité quoi…)