La faiblesse de la croissance mondiale a conduit l’OCDE, dans ses perspectives économiques intermédiaires, à reconsidérer – semble-t-il- un ensemble de dogmes auxquels l’institution a été particulièrement attachée. Elle prend en compte dans son analyse l’absence de rebond de la croissance mondiale, l’impossibilité actuelle que l’inflation puisse progresser à un niveau de 2 % l’an, et le fait que les marchés financiers semblent anticiper par un mouvement baissier l’absence de perspectives positives. À cela s’ajoutent les difficultés de certains pays d’Afrique et d’Amérique du Sud, liées à une augmentation du coût de la dette dû aux emprunts libellés en devises fortes comme le dollar.
La chef économiste de l’OCDE, Mme Catherine L. Mann, nommée en septembre 2015 en remplacement de Pier Carlo Padoan qui était devenu Ministre de l’Économie et des Finances d’Italie en février 2014, fit part lors de la conférence de presse que si l’on ne fait pas « quelque chose », un risque d’atonie durable de la croissance mondiale est possible. L’OCDE considère donc qu’il faut agir « plus » particulièrement en zone euro, car l’ensemble des incertitudes, qui prédominent sur celle-ci, laisse percevoir un risque lié à un différentiel entre les investissements qui sont à des niveaux incompatibles avec ceux nécessaires pour obtenir une croissance forte.
À ce titre, Mme Mann insiste particulièrement sur le fait « qu’il faut que les décideurs puissent comprendre que le monde a changé et que de nouvelles politiques doivent être mises en place »
Mais, devant une telle profession de foi, il est paradoxal que les trois principaux points, présentés dans ses perspectives économiques intermédiaires à la conférence de presse du 18 février, apparaissent en contradiction totale avec la plus grande partie des analyses et solutions présentées par l’OCDE jusqu’à ce jour.
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Les administrations publiques devraient mener des politiques budgétaires expansionnistes
L’OCDE propose aux administrations publiques de nombreux pays, qui peuvent aujourd’hui emprunter à long terme, et ce à des taux d’intérêt très bas, de mener des politiques budgétaires expansionnistes, celles-ci étant destinées à renforcer la demande. Il s’agit d’un paradoxe de taille. En effet, depuis plus de 10 ans, l’OCDE préconise une diminution de la part des dépenses publiques afin d’accroître la part des dépenses réalisées par les entreprises.
Cette proposition se heurte en outre à l’ensemble des politiques budgétaires préconisées jusqu’à ce jour, et donc menées dans la totalité des pays de la zone euro. Celles-ci exhortaient les États à diminuer leurs dépenses publiques, et ces préconisations budgétaires se heurtent aussi au niveau d’endettement des pays hors Zone-Euro, qui a atteint des sommets, et ne laisse ainsi, compte tenu des niveaux atteints, que très peu de marge de manoeuvre.
Comme autre levier, il est proposé par l’OCDE un objectif d’investissement de 0,5 % du PIB plus efficace et plus qualitatif, les afin d’obtenir des résultats significatifs. Ce point est considéré comme « l’ingrédient-clé » de cette politique.
Or les propositions d’investissement qualitatif peuvent être considérées comme étant acquises, car les États de la Zone-Euro se sont engagés depuis des années dans un ensemble de mesures destinées à rationaliser leurs investissements, et à augmenter l’efficience de leurs administrations.
De plus, à ce stade, cette proposition de l’OCDE ne peut être qu’un voeu pieux dans la mesure où les investissements ont déjà été mis en place dans la plupart des pays, car les lois des finances ont été votées pour 2016, et ce pour l’ensemble des pays.
Il s’agit donc là de propositions qui, si elles n’ont pas déjà appliquées en grande partie, ne pourraient donner des résultats au plus tôt que courant 2017 ou fin 2017. On peut donc considérer que ces préconisations ne sont pas réalistes, même si l’OCDE considère qu’il y a urgence.
Une augmentation des salaires comme porte de sortie
L’OCDE propose une augmentation des salaires comme moyen d’obtenir une meilleure croissance d’une part et – mécaniquement pourrait-on dire- une augmentation de l’inflation d’autre part, là où aucune politique budgétaire décidée par les banques centrales, autant celle du Japon que celle de l’Europe, n’a réussi.
La levée du dogme de la maîtrise salariale comme facteur de croissance n’est pas sans risque. À ce titre il suffit de se rappeler les efforts consentis depuis plus de 15 ans par l’ensemble des pays européens pour faire baisser l’inflation. Toute inversion de politique brutale fait peser le risque que le remède soit pire que le mal. Jusqu’à une période récente, l’inflation était considérée comme un élément extrêmement déstabilisateur de l’économie mondiale. Or une augmentation des salaires peut à terme devenir non maîtrisable et s’inscrire dans la création d’une spirale inflationniste .
Cette remise en cause qui peut, certainement à court terme, donner le sentiment d’une reprise en main efficace de l’économie mondiale, n’entraînera-t-elle pas un désordre à terme, les problèmes structurels n’ayant pas été réglés?
Les États-Unis ne seraient plus le moteur de la croissance mondiale ?
Mme Mann, qui a pourtant été Economiste International Senior au Conseil Présidentiel des Conseillers Economiques de la Maison-Blanche, remet en cause le dogme des États-Unis comme moteur de la croissance mondiale. Jusqu’à ce jour, il était en effet considéré que seule la croissance américaine pouvait entraîner une augmentation de la croissance mondiale. Dorénavant, la croissance mondiale devrait être portée par la zone euro, ce qui semble incompatible avec les nombreux défis auxquels l’Europe doit faire face: le respect des objectifs financiers alloués à chaque État, un chômage endémique et les conséquences des crises internationales comme l’afflux de réfugiés, ou les conséquences de la situation ukrainienne. Présenté des préconisations à l’Europe qui porte plus au chaos, qu’a la bonne gouvernance, ne constituera pas un retour automatique au leadership de certains.
Les effets des préconisations de l’OCDE pour le chômage en France
Lors de sa conférence de presse de mars 2015, l’OCDE recommandait à la France de baisser le poids de ses dépenses publiques, et sa fiscalité (la plus lourde des pays de l’organisation après la Finlande, à 57,3% du PIB) afin de favoriser la croissance. La France devait également simplifier dans tous les domaines, ce qui correspond peu ou prou aux lois Macron. À ce titre, l’OCDE considérait que « les réformes menées par le gouvernement allaient dans le bon sens, mais devaient être accentuées»
L’OCDE évaluait alors la croissance de la France à 1,1% en 2015, puis à 1,7% en 2016, tout en notant que « les perspectives économiques étaient encore trop fragiles pour permettre d’envisager une baisse significative du taux de chômage ».
Et surtout, l’OCDE considérait dans une étude publiée en mars 2015 que « la part des dépenses publiques dans le Produit Intérieur Brut (PIB) devait inévitablement être réduite en France » et que le marché du travail « devait être la réforme structurelle prioritaire » pour corriger l' »important problème de compétitivité » de celle-ci. Lors d’un point presse, le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, avait alors estimé que « la dynamique de réformes devait être accélérée », tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’une tâche « politiquement éprouvante ».
Toutefois, les préconisations faites pour la France en matière d’emploi n’ont pas permis la diminution significative du nombre de chômeurs envisagée initialement. La croissance est de 1,1% pour la France, et ce, malgré l’application stricte des mesures préconisées. Et pour 2016, les projections sont de 1,2% de croissance, soit 0,5% en deçà de ce qui avait prévu en mars 2015.
Les méthodologies et systèmes de prédictions économiques ne doivent-ils pas aussi changer ?
Le monde a effectivement changé et il est temps que l’ensemble des grandes institutions financières qui prône de nouvelles politiques se donner les moyens d’y faire face. Avec comme priorité le recrutement d’économistes considérés jusqu’à ce jour comme atypiques, afin qu’ils puissent intégrer leurs propositions et faire valoir leurs modes de pensée au sein de toutes les institutions financières.
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