Le fascinant expressionnisme de Mark Rothko

by Dominique Grimardi

En cette fin d’année 2023, la fondation Louis Vuitton présente une exposition consacrée à Mark Rothko. Cent quinze oeuvres, rassemblées pour la première fois en un même lieu, permettent d’approcher une figure majeure de l’expressionnisme abstrait du vingtième siècle. Né en 1903 et décédé en 1970, Mark Rothko se dérobe au fur et à mesure qu’il construit son oeuvre. Et pour le public, celle-ci joue sur l’élaboration d’une absence fascinante.

L’humour des non-titres

Celle-ci se manifeste déjà par le choix des titres. Avec constance la dénomination des oeuvres joue sur une variation très relative. Dès 1937 paraît le déconcertant Untitled, qui peut être suivi d’une précision entre parenthèses: un nom comme Subway, un nombre, voire d’une majuscule placée entre parenthèses. Il arrive que cet énigmatique Untitled soit développé par suivi une série de couleurs. Rothko adopte aussi l’abréviation N° avec un nombre, éventuellement associée à des couleurs. Plus radical encore, l’oeuvre porte juste le nom des couleurs qui y apparaissent.

De la figuration à l’abstraction extrème

L’absence s’installe dans l’oeuvre également dans le passage du figuratif à l’ abstraction. Aux silhouettes humaines longilignes de Subway ( 1937), aux visages stylisés et signes hermétiques du tableau The Omen of the Eagle (1942) succède le choix des formes du carré et du rectangle. Du rectangle surgissent carrés et rectangles dont l’imbrication se simplifie à l’extrême pour devenir l’oeuvre monochrome de la chapelle de Houston.

Une maîtrise technique

Toutefois, cette démarche de l’effacement déconcerte par l’intensité du message transmis. Pas de mot, de paroles inutiles, de métaphores bavardes. Le spectateur est confronté à des couleurs qui surgissent de la superposition des pigments travaillés par l’artiste. Pas de limites, de frontières rigides entre les couleurs. Au besoin, c’est la colle de peau pigmentée qui réagit avec l’huile, donne naissance à la forme, fait surgir le noir, s’écarte devant l’ocre, révèle le carmin.

Un message de liberté et de tolérance

Ces choix, cette technique créent une atmosphère quasiment mystique. Contemplateur libéré de la tyrannie des formes, des symboles, et même du diktat des titres, le spectateur entre en connivence avec cette expression intime élaborée sur des refus. Place est accordée à la matière et à la liberté accordée au lecteur d’apprécier, de ressentir à sa guise le message respectueux construit par Mark Rothko, un message intuitif de liberté et de tolérance par delà les mots.

Dominique Grimardia

MARK ROTHKO, Fondation Louis VUITTON, 8 avenue du Mahatma Gandhi, 75116 Paris, jusqu’au 2 avril 2024

Print Friendly, PDF & Email
Leave a comment