Jusqu’à présent dans le monde de l’édition les livres des politiques, à quelques exceptions près, étaient de véritables fours littéraires. Mais avec le temps, voici une petite révolution littéraire: les livres des politiques passent au statut de best-sellers.
Et c’est ainsi que, dans l’édition en 2016, les livres politiques sont devenus des succès de librairie, trois candidats aux primaires des Républicains sont donc devenus auteurs à succès: François Fillon avec les deux titres Faire et Vaincre le totalitarisme islamique aux éditions Albin Michel, Alain Juppé avec Pour un état fort, Cinq ans pour l’emploi aux éditions JC Lattés et De vous à moi disponible gratuitement sur internet, et Nicolas Sarkozy avec Tout pour la France et La France pour la vie chez Plon.
Juste retour des choses pourrait-on dire, car il est plus important de connaître le point de vue des candidats, leurs aspirations, que le compte rendu de petites phrases qui ne sont généralement pas de nature à faire avancer le débat, ou tout du moins la compréhension des objectifs des hommes politiques.
Il n’en demeure pas moins que tout chose a par nature un revers. Et les « plumes » politiques peuvent, dans le cas où ils seraient candidats aux élections présidentielles, être confrontés à une situation nouvelle.
De fait les livres faisant en partie, ou en totalité, référence à un programme politique doivent être inclus dans les comptes de campagne. En effet, pour la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques, les livres « doivent être considérés comme « concours en nature », et ils entrent dans le périmètre de la mission de la commission, laquelle doit s’assurer de l’exhaustivité du compte et du respect du plafond des dépenses ».
Donc, une fois passé le cap de l’euphorie du succès de librairie, le candidat , désigné à la fin des primaires comme le candidat officiel, va rencontrer une difficulté de taille. Comment présenter dans ses comptes de campagne les coûts et revenus issus de ses livres?
Pour les revenus issus des livres, et remis au titre des droits d’auteur en effet, les choses sont simples. Ils sont considérés comme des revenus personnels et ne nécessitent pas d’être réintégrés dans les recettes de campagne.
Pour les livres, qu’ils soient imprimés ou disponibles sous forme de fichiers numériques, c’est plus complexe. Le principe du dépôt des comptes de campagnes est déclaratif: les candidats ont la possibilité d’inscrire ou non le chiffre d’affaire résultant de la vente des livres.
Il existe en effet plusieurs cas de figure. Si le livre n’est pas de caractère politique , un recueil de poèmes par exemple, dans ce cas, quels que soient les chiffres de ventes, ils ne peuvent être assimilés à des dépenses devant être intégrées dans l’évaluation du respect du plafond.
Si au contraire, le livre comprend des réflexions politiques, la présentation d’un programme politique, en ce cas alors, une évaluation peut être réalisée afin d’ inclure dans les comptes ce qui peut être assimilé à des dépenses.
Et, compte-tenu des succès en librairie enregistrés, le poids du succès peut être très lourd. De surcroît, si seuls les livres édités après le 1 avril 2016 sont concernés par ce comptage, dans un certaine mesure les retirages pourraient éventuellement être eux aussi inclus dans le calcul de ce plafond. En l’état les livres sortis après le 1 avril 2016 doivent être pris en compte. Les retirages feront-ils, eux, l’objet d’un arbitrage. Telle est l’inconnue.
A ce jour avec Pour un état fort et Cinq ans pour l’emploi, Alain Juppé comptabilise 44 000 et 27 000 exemplaires mis à la disposition des libraires, soit un très beau succès car les ventes pourraient atteindre un total de 71 000 exemplaires. Mais dans le cadre du calcul des comptes de campagne, le livre Pour un état fort, disponible depuis janvier 2016, ne doit pas y être inclus. Seuls les 27000 exemplaires de Cinq ans pour l’emploi seront éventuellement concernés, ce qui, à 12 euros l’exemplaire pourrait représenter 324 000 euros à intégrer dans le plafond des dépenses. Quant à De vous à moi , disponible gratuitement sur internet, seuls les frais de serveurs pourraient être pris en compte. Le goût des lettres d’Alain Juppé, agrégé de grammaire comme François Bayrou, et comme le fut George Pompidou, serait donc de nature à amputer son budget de campagne électorale de manière non négligeable.
Pour les autres candidats, la situation est moins claire. Entre les effets d’annonces, destinés à montrer l’engouement des électeurs, et la réalité des ventes, les éditeurs n’ont pas souhaité répondre. François Fillon avec Faire paru en 2015 n’est pas concerné, mais Vaincre le totalitarisme islamique en 2016 aurait atteint les 40 000 exemplaires. Vendus à 9 euros, ils peuvent amputer son plafond de dépenses de 360 000 euros. En ce qui concerne Nicolas Sarkozy, auteur de Tout pour la France paru avant le premier avril 2016, et de La France pour la vie. Seules les ventes de La France pour la vie estimées selon les affirmations à 40 000 exemplaires à 18 euros, devraient faire déduire 720 000 euros.
En définitif, le principe de dépôt des comptes de campagne étant déclaratif, les candidats ont une latitude pour imputer en partie ou en totalité les frais exposés durant les présidentielles, surtout pour des dépenses de ce type. Si elles ne sont pas remboursables, elles doivent toutefois être incluses dans le calcul du plafond. Et cela d’autant plus que, si les livres n’avaient pas jusqu’à ce jour généré des recettes exceptionnelles, c’est n’est pas le cas pour les présidentielles de 2017.
Dominique Grimardia
Article 3.3.2.6. sur les livres
La commission s’est inspirée des principes qui ont été posés par le Conseil constitutionnel lors des élections présidentielles de 1995 et 2002. Elle a donc distingué trois cas de figure,
en fonction du caractère politique de l’ouvrage concerné :- le livre n’a pas de caractère politique et dans ce cas, aucune dépense ne doit,en principe, figurer au compte de campagne. En effet, le simple fait pour son auteur d’être candidat à une élection ne confère pas à la publication de l’ouvrage un caractère de propagande. La promotion du livre ne doit cependant pas excéder la pratique habituelle de promotion d’oeuvres de même nature ;
– le livre comprend des réflexions politiques et bien que ne constituant pas la
présentation du programme du candidat, il peut apparaître comme un ouvrage
électoral. Les dépenses effectuées en vue de sa promotion doivent alors figurer
dans le compte de campagne ;
– l’ouvrage constitue la présentation du programme du candidat. Dans ce cas,
outre le coût de sa promotion, le coût de son édition et de sa commercialisation
doivent figurer dans le compte de campagne.
Concernant l’imputation au compte de campagne des dépenses relatives à un ouvrage, il a lieu de distinguer deux hypothèses :
– soit l’ouvrage est édité à compte d’auteur et il n’y a alors aucune difficulté
particulière, les dépenses de promotion et d’édition étant engagées par une
personne physique. Le mandataire doit régler les frais correspondant ;
– soit il existe un contrat avec une maison d’édition et les dépenses à finalité
électorale doivent être imputées au compte afin de vérifier le non dépassement
du plafond, mais ne doivent pas figurer parmi les dépenses remboursables,
puisque payées par une personne morale. En conséquence, elles doivent être
considérées comme « concours en nature », permettant ainsi à la commission
de s’assurer de l’exhaustivité du compte et du respect du plafond des dépenses.
Cette solution a évidemment l’inconvénient de faire figurer dans le compte un
concours en nature de personne morale qui ne devrait pas, en principe, y être
inscrit.
Dominique Grimardia