Rencontrer l’insolite au quotidien semble être le destin de René Magritte. De sa vocation née de la rencontre d’un peintre dans les allées du cimetière désaffecté où il joue avec une petite amie à l’exposition de ses oeuvres sur les trois étages de ce bâtiment de 2500 m2 des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, tout dans cette vie et cette oeuvre joue avec le réel générateur d’insolite, de poésie et d’une philosophie de l’ingénu. Aujourd’hui plus encore les trois niveaux parcourus de haut en bas de l’un des bâtiments solennels situé sur le Mont des Arts de Bruxelles permettent de saisir cet art de l’ insolite pratiqué par celui qui est reconnu comme l’un des maîtres du mouvement surréaliste.
Plus de 200 de ses oeuvres, huiles sur toile, gouaches, dessins, affiches publicitaires, partitions de musique, sculptures, objets peints, photos et même des films réalisés par l’artiste déclinent la construction de cet univers si particulier au rythme des citations du peintre sur la création. Du réel à l’insolite et vice versa: Magritte y apparaît dans tous les états de son art.
L’insolite du monde de Magritte naît du quotidien. Des maisons simples à un seul étage, une fenêtre, un arbre, Les décors en extérieur comme les intérieurs appartiennent à un monde sans surprise avec des armoires , des tapis, des miroirs. L’homme lui-même se signale par la banalité de son costume et de son chapeau.
Mais » le monde et son mystère ne se refait jamais, il n’est pas un modèle qu’il suffit de copier ». Chaque élément du tableau est susceptible de se transformer. L’ oiseau devient forêt. Le costume s’envole. La huppe de l’oiseau se métamorphose en château-fort. Les éléments architecturaux les plus banals échappent aux lois de la construction.1945, Les Rencontres naturelles: deux fenêtres, l’une bascule vers la gauche, tandis que la seconde parfaitement verticale renforce la chute de la première. La montée des marches de l’escalier n’arrive pas sur un pallier mais dans un mur.
Plus,“/sa/ peinture doit ressembler au monde pour pouvoir en évoquer le mystère”. Le réel qui semble s’imposer cèle un autre réel, l’illusion naît de l’objet qui dévoile une autre réalité. Le mode de représentation très académique, volontairement neutre, met en évidence un travail complexe de déconstruction des rapports des choses et des êtres. L’objet pris dans un agencement géométrique révèle une réalité qui échappe aux lois de la logique habituelle et transmet une réalité de l’esprit car les situations dans lesquelles objets et êtres sont placés échappent à la logique commune. De là naît le merveilleux monde de Magritte.
» D’ailleurs c’est l’impossible qu’ / il /essaie de transformer en matière ». L’ association d’éléments extraits de la vie quotidienne crée la surprise. Ainsi en va-t’il en 1952 dans Les Valeurs personnelles où dans une pièce meublée d’un lit, d’une armoire et de deux tapis surgissent un peigne, une allumette, un verre et un savon sur-dimensionnés. Toutefois le décor à son tour échappe au réel puisque le miroir de l’armoire reflète une fenêtre et que le mur de cette chambre qui avait semblé close est en réalité un ciel chargée nuages.
Capté par ces décors structurés à partir d’ éléments très lisibles, par la naïveté de leur représentation, le spectateur est soumis à des jeux d’ optique que ne laissaient pas prévoir ces représentations très ingénues. 1935: La Condition Humaine est mise en scène avec un tableau placé devant une fenêtre. Le tableau représente un paysage supposé reproduire le paysage visible de la fenêtre s’il n’y avait pas ce tableau qui le cache. La concordance des couleurs, des lignes et des formes est telle que sans la présence du chevalet, du bord de la toile et le rideau l’oeil serait resté prisonnier de l’illusion. Toutefois le jeu du regard et du dévoilement est pris par la construction en trompe l’oeil et mis en abîme. N’est-ce cette illusion optique ancrée dans un réel qui se dérobe qui symboliserait la condition humaine? » La valeur réelle de l’art est en fonctionne son pouvoir de révélation libératrice »
Trompe l’oeil, associations d’idées, une possibilité de lecture entre mille autres nous mènent au coeur de l’oeuvre de ce peintre qui avouait non seulement que » /son/ seul désir était de /s/ ‘enrichir de nouvelles pensées exaltantes » mais encore que » la valeur réelle de l’art est en fonctionne son pouvoir de révélation libératrice ». Au spectateur de subir la perturbation et le malaise pour prendre conscience du choc poétique voulu et recherché par l’artiste et de s’interroger. La disposition des oeuvres selon 3 périodes au gré des 3 étages parfait ce cheminement dans un circuit de symboles dont la répétition, la reprise, les déclinaisons mènent progressivement le spectateur à réfléchir sur le sens et la réalité de la représentation qui lui est présentée. Nul dogmatisme, seulement un discours plastique progressif qui révèle la philosophie de l’ingénu de ce peintre de l’insolite.
Dominique Grimardia
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Les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Musée Magritte Museum, rue de la Régence, 3, 1000 Bruxelles, Belgique