Ascenseur pour l’échafaud serait-on tenté de dire au vu du nombre de scènes tournées dans l’ascenseur, symbolique des promotions et licenciements des employés du service de trading de cette firme. C’est le premier film de J.C. Chandor qui s’est inspiré de la faillite en 2008 de Lehman Brothers. Il s’appuie aussi, pour le scénario, du témoignage de son père qui a travaillé quarante ans chez Merrill Lynch.
Margin Call débute donc par un licenciement de « groupe » : près de 70% des effectifs d’un étage sont licenciés avec brutalité et sans humanité, dans un temps proche des nouvelles techniques d’un trading réalisé automatiquement à la micro-seconde.
Parmi les remerciés un analyste « senior » Stanley Tucci (Eric Dale) part avec une substantielle contre-partie financière. Mais cette belle et froide efficacité bute sur le fait que celui-ci pouvait assurer la survie de la firme.
A la porte de l’ascenseur, il remet à un jeune trader plus humain que les autres, Sullivan (Zachary Quinto)une clé usb, accompagnée du conseil « be careful ».
Notre consciencieux Sullivan, expert en balistique comme nous l’apprendrons plus tard, s’aperçoit alors que la firme est en danger imminent de disparition. A l’annonce de cette analyse se met en place le ballet des managers, avec la froide apparition de la spécialiste des risques » (Demi Moore), et de Sam Rogers (Kevin Spacey).
Comment cette faillite est elle possible? Le film ne nous l’apprendera pas vraiment puisque touts les explications données par la suite aux responsables de l’entreprise le sont » en anglais », c’est-à-dire pour des gens qui comprennent peu les mécanismes financiers.
Et dans ce film justement, les boss ont une force d’âme qui consiste à ne pas en avoir. Le patron est interprété par le formidable Jérémie Irons, dont la « philosophie » se résume à la formule: « Dans notre métier, il faut être le premier, le meilleur, ou tricher ». En bon politique il ne va pas décider, ou plus exactement il va être le premier tricheur et le plus intelligent .
Et, dans un ballet d’hélicoptères à 4 h du matin, les responsables, réunis sous la coupe du « big boss » John Tuld, vont décide de solder les positions sur les crédits immobiliers à risque, suite de la crise des subprimes à l’ensemble de la planète, et de la couler (la planète financière), afin de rester « liquides », quitte à vendre à 65 cents pour un dollars 360 millions de dollars, c’est-à-dire réaliser une perte de 130 millions.
Toutefois ne croyez pas que toute humanité est absente de ce film, cela serait faux, même médisant. Des personnages éprouvent des sentiments, mais exclusivement pour eux. Le jeune Seth Bregman (Penn Badgley),23 ans, à 250 000 dollars par an, témoigne d’un grande sensibilité en pleurant dans les toilettes, sa principale préoccupation est de savoir ce que gagne les autres. Will Emerson (Paul Bettany), Kapo à 2,6 millions de $ par an, nous explique que ce n’est pas grand chose et qu’après avoir payé ses impôts, son emprunt, sa voiture et ses copines tarifées, il peut juste mettre de coté 400 000 $. Sam Rogers, manager, vit un véritable drame humain : il a la force de proposer à son équipe, si 93 % des actifs sont vendus avant la fin de la journée, une prime et un bonus pour un total de 2,8 millions de $, afin de vaincre les éventuelles réticences morales.
Et d’ailleurs, en l’occurrence, la réalitè rejoint la fiction. JPMorgan Chase (JPM) a annoncé une perte de 2 milliards de dollars. Jamie Dimon, son PDG, a par ailleurs reconnu que la stratégie avait été mauvaise, et conclut à une mauvaise gestion.
Comme dans Margin Call, le modèle mathématique utilisé par la banque JPMorgan est incriminé, le risque a été largement sous-estimé, et les pertes sont fortes ces dernières semaines, pas encore définitives puisque la banque JPMorgan n’a pas tout liquidé.
La situation de la banque JPMorgan semble unique, mais une autre banque ne serait-elle pas aussi en difficulté, et tous les John Tuld (ou Jamie Dimon) de la planète ne sont-ils pas les plus malins de la bande.
Comble de l’ironie, Jamie Dixon a affirmé, il y a quelques semaines, que « The bank (la banque JPMorgan) is very conservative in investing the firm’s excess cash ». Du pur Margin Call…..
N.B.: » Margin call » a pour équivalent en français « appel de marge », un protocole réalisé quotidiennement par la Chambre de compensations des ordress sur les marchés dérivés, lorsque les positions d’un intervenant sont en perte.
Jean Cousin
Forks magazine © Forks 2012