Le Musée Bourdelle ouvre le cycle de ses expositions 2020 par un hommage à l’artiste danois Niels Hansen Jacobsen (1861- 1941). Alors que l’hiver a quitté ses habits de fêtes, c’est l’occasion d’ une rencontre non seulement avec un artiste exposé pour la première fois en France, mais aussi un voyage dans un monde onirique traversé de légendes transformées dans un creuset de formes et de matières. Intitulée Les Contes étranges de N. H. Jacobsen, l’exposition développe un parcours initiatique dans le monde onirique de ce sculpteur et céramiste contemporain d’Antoine Bourdelle, qui vécut à Paris de 1892 à 1902.
En cette fin du dix-neuvième siècle, Paris fait figure avec Bruxelles de capitale du symbolisme. Elle accueille écrivains, artistes, musiciens venus de toute l’Europe. Niels Hansen Jacobsen travaille dans un atelier de la Cité Fleurie, boulevard Arago. L’endroit est le lieu de rencontre de tout un groupe de symbolistes danois francophiles, et de créateurs français qui y vivent: l’illustrateur et affichiste Eugène Grasset, le céramiste et collectionneur Paul Jeanneney, le sculpteur et céramiste Jean Carriès. La scénographie des Contes étranges se déroule d’ailleurs dans un dialogue continu entre les réalisations de Niels Hansen Jacobsen et les travaux de ceux qui furent ses voisins d’atelier.
A ceux-là, tout à fait dans l’esprit foisonnant de cette époque, sont adjointes des oeuvres de Paul Gauguin, Carlos Schwabe, Odilon Redon, Edvard Munch, Arnold Böcklin, Frantisek Kupka, Georges de Feure, Jens Lund, Gustave Moreau, Boleslas Biegas, et naturellement d’Antoine Bourdelle. Le parcours de l’exposition, rythmé par cinq sculptures monumentales de Niels Hansen Jacobsen, constitue une véritable immersion dans le symbolisme. Dès ses premiers pas le visiteur est mené à une perception intuitive des enjeux, de la richesse mystique de l’artiste et du mouvement symboliste.
Après un corridor où sont présentés Niels Hansen Jacobsen et son épouse, la peintre Anna Gabriele Rohde, le parcours se poursuit en contrebas. Cette descente vers les oeuvres, la théâtralité de l’éclairage, la juxtaposition des oeuvres de l’artiste avec celles d’autres créateurs joue sur l’intuition. Aucune démonstration, seuls des phénomènes d’écho, des parallélismes plastiques, la confrontation de différentes techniques. Les pièces imposantes n’étouffent pas les objets plus discrets. La scénographie instaure un dialogue à plusieurs voix, au gré d’une déambulation qu’il est possible de suivre selon plusieurs détours.
C’est un tissu de « correspondances » au sens où l’entendait Baudelaire, qui s’inscrit dans un mélange de légendes nordiques, de symboles développés jusqu’à l’obsession, et de prouesses techniques. La figure féminine y est celle de La Petite Sirène, de La Méduse, de la Mère. Visions de nymphes, de femmes damnées, de créatures monstrueuses, volutes, arabesques, formes organiques ou végétales, l’oeuvre de Niels Hansen Jacobsen joue sur des connexions intuitives entre le hasard et le travail, le réel et l’invisible, le surgissement du sens au hasard de la matière.
En cela le travail de Niels Hansen Jacobsen s’inscrit en opposition avec celui d’ Antoine Bourdelle. Si ce denier laissait à un céramiste et chimiste, Alexandre Bigot, la tâche de mettre en couleurs ses oeuvres, Niels Hansen Jacobsen assure le processus de création jusqu’en ses ultimes marges, avec la production de grès, parfois alliés au métal, en une fusion alchimique.
Loin de pesants manifestes, l’exposition condense la richesse du symbolisme. Mais la sensibilité de l’artiste semble ouvrir la voie à une expression nouvelle de l’étrange, un travail sur l’inconscient par delà ou en deçà des mythes archaïques. Les Contes étranges de Niels Hansen Jacobsen, c’ est aussi le récit d’une recherche personnelle aux limites de l’inconscient et de l’intuitif. Une exposition magique, associée, pour les perfectionnistes, à des conférences, des ateliers et, pour petits et plus grands, une visite-découverte des contes et mythes nordiques.
Les Contes étranges de Niels Hansen Jacobsen, jusqu’au 31 mai 2020, Musée Bourdelle, 18 rue Antoine-Bourdelle, 75015 Paris